Lettre de Félicien Rops à [Armand Rassenfosse]

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Enfin je peux vous écrire, ce n’est pas sans peine ! Depuis que je vous ai écrit, il y a quelques jours, je n’ai pas été seul une minute, & comme je voulais vous écrire à tête reposée, j’ai dû, pour cela, attendre mon retour à Paris, & revoir à nouveau les épreuves du superbe envoi que vous venez de me faire parvenir, & dont je vous remercie Mon Cher Rasenfosse, car je tiens à rester au courant de tout ce que vous faites. J’ai grande confiance en votre avenir, et je montre vos essais à quelques artistes qui me font à leur tour des observations que je vous transmets. Ce sont gens de goût et d’un jugement sûr. Lorsque vous m’enverrez encore des épreuves, mettez audessus des épreuves des nos d’ordre, & prenez note de ces nos. Cela aidera à nous reconnaître. Sans cela je suis toujours forcé de faire la description des pièces dont je veux parler. – Comme je compte beaucoup travailler cet hiver pour regagner tout ce temps perdu, nous aurons beaucoup à parler vernis mou, eau-forte, vernis, acide, & à nous envoyer des épreuves réciproques. – Cela finira par vous faire une collection de Rops unique, car je ne tire pas tous ces « essais » même pour mes amateurs comme bien vous pensez ! Ce ne

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sont là que des vagissements sans valeur mais qui auront leur curiosité & leur intérêt plus tard, lorsqu’on refera l’histoire du vernis-mou dans les temps modernes. Et vous y aurez une jolie place !

Procédons par ordre : Vous me demandez l’épreuve de l’avocat, je ne l’ai pas chez moi pour l’instant, elle est, à la description, chez un zélé « Ropsographe ». Dès que je vais le « revoir » je vous l’expédierai dans les six heures. Gardez la six mois si vous voulez.

– Pour les Rosiers : Planter en Novembre. Attendez quelques jours je vous enverrai une série de branches des plus belles espèces avec la manière de s’en servir. Faites venir un catalogue (ou plutôt je vous l’enverrai moi-même) de la maison Ketten frères à Luxembourg, écrivez de ma part quand vous commanderez quelque chose. Très bon rosiériste et pas cher. En plus des branches de rosiers, je vous enverrai une demi-douzaine de jeunes pieds de cette année dans quelques jours. Ils précederont les branches à boutures, et auront un n° d’ordre, (toujours !) qui correspondra à une notice Ropsienne sur leur culture, leur espèce et les soins à leur donner ainsi que l’emplacement où il faudra les planter : en novembre. Je suis un rosiériste profond ! Un puits de science ! une mine ! Les boutures de rosiers peuvent se faire en novembre.

Et maintenant aux épreuves :

1ère épreuve : Une dame en chapeau blanc « Kate Greeneway » En dessous il est écrit : vernis N°5 Beaucoup d’estompe, un peu de roulette dans la figure. Là dedans apparaissent tous les défauts du n°5. Partout l’estampe est « chagrinée » de taches blanches. Les gris du chapeau blanc, les ombres, sont jolis en revanche.

2e épreuve : Un frontispice pour des « Essais au vernis mou » : assez joliment dessiné, sauf l’amour au porte crayon qui n’est pas heureux. Petit fond très délicat. La plume à travers calque ici alourdit les contours. Pour un zinc c’est bien venu. La femme est bien, mais on on ne comprend guère ce que fait sa main gauche.

3eid Une repasseuse. Pas mal dessinée la demoiselle ! Le grain est bien posé, mais la muraille du fond, le plancher & le tablier sont du même ton. À retravailler.

4e Bonne étude de femme nue sur zinc avec de gros nichons et un gros ventre, les bras levés, sans mains. Modelé. Comme dans « la blanchisseuse » cette aqua-tinte mise audessus du vernis-mou alourdit tout le travail regardez les pieds, le petit tableau du fond avec la branche de buis, les contours des bras, les mains, le pot de géranium, tout cela est boueux dans : « la blanchisseuse ».

5e id. Ouvrier Liégeois pelottant une « gonzesse dans un cabaret. La moins bonne des planches, – lourde et sale. Sur le jupon de la femme toujours cette gaufrure de l’estompe. Vous voyez mon Cher Rasenfosse que je suis brutal en ma franchise. Les cheveux de la femme sont d’un joli ton à part cela.

6eid Un début à l’atelier – Très bien cette petite planche. La plume à travers calque

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fait bien dans ce croquis, d’ailleurs bien dessiné. Il faudrait encore la faire moins mordre, la plume en question. Les « traces » de vernis mou ne sont pas très heureuses & ont mal mordu.

7 id Grand buste de femme nue en bonnet photogravure Moreels. Très curieuse cette planche aussi. Trop mordue, mais ce procédé peut rendre de bien réels services. Comme dessin ce buste est bien indiqué. Du reste vos progrès comme dessinateur sont flagrants.

8 id Très bien cette grande fille élancée et déshabillée en Folie photogravurée par le procédé Moreels. C’est très joliment dessiné et avec une certaine originalité. Là, le procédé Moreels est réellement probant. Je le félicite de ce résultat, & vous aussi !

Une observation – pas de moi, de deux de mes amis qui regardaient ce croquis hier, et qui le trouvaient bien : Faites le moins possible d’épigraphes sur vos planches. On vous accuse déjà, et c’est presqu’inévitable, de subir dans votre dessin un peu mon influence. Comme mettre des épigraphes sur des eaux-fortes est pour ainsi dire une de mes spécialités, puisque personne ne le fait, on vous accusera encore de m’imiter en cela, et il ne faut pas donner prise à ce genre d’accusation. Vous ne me pastichez pas et votre originalité se dégage chaque jour d’avantage en un travail personnel. Donc supprimez les épigraphes croyez moi, elles vous seront plus nuisibles qu’utiles, on a toujours des envieux qui ne demandent que prétextes à morsures. – À propos de photographures, je vous envoie un papier végétal, transparent, très uni de grain. Montrez le à Moreels, il pourra peut-être vous servir. Il est plus transparent qu’il ne le paraît.

F.R