Lettre de Félicien Rops à [Armand Rassenfosse]

Page 1 Recto : 1

Merci de l’envoi. Et même grand merci. Vous savez quel plaisir me font vos envois & vous ne m’oubliez pas, ce dont je suis charmé.

Reçu donc un état de la Femme qui embrasse un ouvrier, (quel est le titre ?) et tous les états de « la Femme en buste ». À mon avis, vous procédez mal. Je ne parle pas du procédé en lui‑même, naturellement, mais de la façon dont vous vous en servez. D’abord, vous gâtez souvent vos vernis mou, par vos applications d’aqua‑Tinte. Je la connais cette bonne aqua‑Tinte, et elle m’a joué assez de tours pour cela ! Quand vous voulez pour de l’aqua‑tinte, il est presque nécessaire de mener votre vernis mou sur un fond léger d’aqua‑tinte couvrant la planche, pour être harmonique. Mais pourquoi toujours de l’aqua‑tinte ? vous possédez d’excellents vernis mous qui vous permettent de tout faire. Pourquoi faire autant d’états, & ne pas varier vos morsures premières par couverture, puisque vous possédez un petit vernis qui sèche vite & parfaitement, ce qui vous permet, de replacer de nouveaux calque ou de continuer votre dessin sur le calque primitif ? Puisque le N°6 donne des teintes d’estompe, qu’il ne remord pas, rien ne vous empêche de conduire jusqu’à l’achèvement complet un vernis mou simple, en variant les crayons ? – Ne mêlez pas trop le vernis mou et l’aqua‑tinte. Je dois à cette tendance très compréhensible la perte de beaucoup de planches. Posé au dessus des jeux de crayons l’aqua‑tinte remord sur les travaux primitifs et y cause des désastres.

Page 1 Verso : 3

Il faut que l’aqua‑tinte soit lorsqu’on l’emploie mêlée au vernis mou, un adjuvant & non un absorbant. Me voilà « professant » comme un vieux de l’École ; quelque chose comme le vieux Calamatta. Ah ! c’est l’Expérience qui parle par ma bouche ! Et on ne réfléchit pas que l’Expérience ne sert à rien, qu’à vous même, & que chacun doit créer soi‑même sa propre expérience. L’Expérience des autres ne sert à rien. Dans tous les cas Mon Cher Rasenfosse, j’ai à vous féliciter sur « la tournure de vos croquis. Ils ne sont jamais gauches, & ils me font de plus en plus regretter que vous ne puissiez vous livrer entièrement à l’art. Enfin, vous êtes jeune & laborieux, & vous vaincrez les obstacles – comme Guzman.

Moi je ronronne sur place dans mon Zadig. – Mais je vais me pousser une pointe de vacances dans le vernis mou & dans l’eau‑forte, un de ces jours. J’en ai besoin absolument : a mon tour je pourrai vous envoyer des épreuves.

J’espère bien aller à Liége vers la fin de Mai, je dois aller en Belgique, et certainement je pousserai jusqu’à ma bonne ville de Liége & je vous dirai entre nous le but de mon voyage : Je serais très heureux d’avoir mon portrait par Dewitte. Et puis je verrais en même temps : la Jeune Liége, & les débris de la Vieille, dont j’ai fait partie. hélàs ! au temps du Lustucru !!! 1863 !!!!