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Paris le 1er Février 1892.
Mon Cher Rasenfosse,
Vous serez encore forcé de me pardonner mon long silence, mais la série à la noire qui a pesé sur l’année 1891, menace de continuer, et j’en suis accablé. Je viens de perdre un beau petit garçon qui n’a vécu que le temps de se faire aimer et régretter, et qui est mort subitement, d’une ambolie. Un enfant superbe, fort, d’une rare beauté, paraissant agé de trois mois, faisant l’admiration du médecin qui ne songeait pas même à s’en occuper, lui donnant cent ans à vivre !! Tout cela a passé comme un rêve. J’en suis navré. Un enfant nouveau‑né n’est pas aimé pour le nombre de jours vécus dans votre vie, mais par les douces et longues espérances qu’il représente, et puis un autre, ce n’est pas celui‑là !
– Soignez bien vos petits, dorlotez‑les, veillez‑les, on n’est jamais trop père ! J’ai bien des défauts Mon Cher Rasenfosse, – ou des qualités, – on ne sait jamais où sont les virilités, mais j’ai eu, très jeune, un cœur assez grand pour comprendre et enfèrmer toutes les passions et tous les amours de l’homme, et l’amour paternel y a toujours occupé une large place.
Gardez bien votre bonheur domestique, et que la mort n’ose pas s’en approcher.
J’embrasse vos chers petits en
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souvenir du petit qui est parti & que je pleure. Votre ami bien attristé,
Félicien Rops
P.S. Je vous écrirai demain plus longuement, j’ai bien des choses à vous dire sur nos travaux, mais aujourdhui il fait trop sombre en moi. À demain, je vais me remettre au travail. Il m’a toujours allégé les peines.