Numéro d'édition: 1758
Lettre de Félicien Rops à [Armand Rassenfosse]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Armand Rassenfosse
Lieu de rédaction
Paris
Date
1892/02/09
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6957/19/87
Collationnage
Autographe
Date de fin
1892/02/09
Cachet d'envoi
1892/02/09
Cachet réception
1892/02/10
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
9
Page 1 Recto : 1
Paris 9 fév. 1892
Mon Cher Rassenfosse,
Voici l’affaire dans sa simplicité : Depuis quelque temps j’avais eu l’idée, dans cette recherche « du grain » qui ne nous laissait pas de repos, de tourner mes efforts du coté « papier », champ à peine exploré par nous, et qui me paraissait devoir nous réserver des surprises. Je suis parti du principe que nous devions créer des grains factices, et que là était le coin aux futures découvertes. Je n’ai pas encore tout à fait réussi, mais la chose est en bon chemin, c’est le moment d’appeler mon associé dans « le placer » et en unissant nos efforts je suis persuadé que nous allons mettre en lumière quelque pépite de valeur. C’est le papier émeri grain n°00 qui m’a servi d’étalon. Puis j’ai fait des essais avec la poudre de verre, la pierre ponce impalpable, l’os de seiche (que l’on donne aux serins pour aiguiser leur bec,) la poudre de marbre. – Presque toujours, comme le sable très fin ces poudres donnaient trop gros, puis les encollages dont je me servais étaient irréguliers et cela ne donnait que des résultats imparfaits. J’ai fait fabriquer du papier émeri n°00, sur papier blanc, je vous en envoie six feuilles, trois sur hollande et trois sur Japon léger. Le fabricant s’y est prêté d’assez mauvaise grâce, il m’a flanqué un encollage grossier, m’a barbouillé l’émeri irrégulièrement, les papiers sont devenus comme des cartons, ainsi que vous pourrez en juger. – L’émeri m’a-t-il dit, ne peut se
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se poser sur un papier dur, ni mince ; il lui faut, pour bien prendre régulièrement, être mis sur un papier mou, et d’une certaine épaisseur. Je l’ai laissé faire à sa guise et il m’a fait une nouvelle fabrication sur un papier mou, très mauvais et très cassant, où le crayon 6H Faber s’enfonce comme dans du beurre, mais qui donne un résultat dans tous les cas supérieur au premier. Je vous envoie ces deux papiers en carrés sous des cartons car sous rouleaux ils se casseraient probablement. J’y joints un essai sur papier calque fait par le même fabricant, il a déchiré huit feuilles de papier calque, sous le poids de la brosse chargée d’émeri, une neuvième a résisté, je vous en envoie la moitié. Elle donne un résultat passable, seulement on ne voit pas son travail, le ton chocolat de l’émeri transparent à travers le calque empêche de voir les traits tracés par le crayon 6H, que l’on doit employer.
– J’ai donc cherché à faire moi-même des papiers à grains, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, vous allez en faire de votre côté, et comme vous êtes plus habile que moi, mon cher ami, en ces tripotages manuels, je suis persuadé qu’avant un mois le papier Ropsenfosse aura vu le jour ! – voici comment je procède, n’étant pas outillé du tout. Il faut surtout éviter que le papier qui se gondole par les encollages humides, ne sèche dans son gondolement, sans cela la matière grenue (que ce soit du verre, de la pierre ponce ou de l’os de seiche,) sècherait dans des irrégularités et par conséquent donnerait un très mauvais, et impraticable résultat. Il faut donc qu’au moment où l’on brosse l’encollage on colle le papier que l’on va couvrir de poudre : Je prends une planche à dessin, d’une certaine épaisseur, une planche qui ne joue pas, la planche à dessiner des écoliers, la planche
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classique :
Croquis
Je trace sur la planche même, un encadrement au crayon rouge, de la dimension du papier que je veux grainer. – Je prends de la bonne colle en bouteille, blanche, liquide, solide, à dessication rapide. La colle, forte liquide et blanche Bergez est la meilleure, et celle dont font usage ici tous ces crétins d’architectes. De la main droite je prends un pinceau plat, pas trop large, et je garnis d’une bande de colle de ½ centimètre de largeur tout le bord intérieur de mon encadrement rouge. Cette colle peut attendre dix minutes sans sécher. Pendant ce temps je passe, sur le papier à grainer, que j’ai préalablement étalé sur la table, et à l’aide d’une large brosse une couche de colle de pâte, (ce qu’on appelle à Namur de la colle d’amidon,) en long, et en large avec le plus de soin possible, de façon à ce que la colle soit mise le plus régulièrement que l’on peut. Je prends la feuille papier délicatement par les bords et je la colle dans mon encadrement rouge, la colle audessus naturellement. En ce moment, sous l’humidité de la colle de pâte, mon papier : Hollande léger, ou même si l’on peut – ce que je n’ai pas encore fait, : calque solide, – est entièrement gondolé. C’est aussi en ce moment que je saisis le tamis – aussi préalablement préparé ; et rempli, soit de verre impalpable, de pierre ponce, d’émeri en potée, ou de morceaux d’os de seiche broyés au mortier suivant le grain qui me parait préférable, et que je saupoudre le grain sur la colle de pâte, en en mettant abondamment. – on peut en mettre autant que l’on veut sans inconvénient, la pâte n’en absorbant que ce qu’elle peut en absorber. on peut laisser sécher le tout comme cela, ou secouer au
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l’excédent de poudre dans un récipient quelconque, en frappant de petits coups secs sur le dos de la planche. Je crois que ce système dernier est le meilleur : l’épaisseur de poudre étant moindre, le séchage du papier a lieu plus rapidement. Au bout de deux heures le papier est séché et redevenu plane. Je passe le doigt délicatement, en frottis sur la surface du grain pour en enlever l’excédent. Si le grain est trop gros, ce qui arrive souvent, à ce que je crois, car je n’ai encore fait que deux essais très incomplets, en passant avec précaution un grattoir sur la surface du grain, ou une petite pierre-ponce en biseau, on pourra obtenir le grain que l’on désirera, a ce que je crois. L’expérience va nous apprendre ce que nous ignorons encore dans ce procédé, qui n’en est qu’à son premier vagissement, et qui je crois nous réserve des surprises.
Je vous envoie par colis postal :
1° – Dix petites feuilles du papier émeri première fabrication sur Wathmann léger. marquées W.P.E N°1
2° – Dix petites feuilles papier émeri sur Japon première fabrication marquées J.P.E N°1.
3° – Une demi feuille papier calque à l’émeri.
4° – Dix petites feuilles papier émeri Deuxième fabrication sur papier blanc mou. marquées P.EM. N°2.
5° – Une mauvaise épreuve d’une planche d’essai informe.
6° Quatre feuilles d’échantillons de papier qui me paraissent convenables pour recevoir les grains.
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Voilà tout. Ne vous rapportez aucunement comme résultat à la mauvaise épreuve que je vous envoie. Je vous en enverrai d’autres dans quelques jours, j’en ai fait, mais elles ne sont pas tirées. Je n’allais pas à l’atelier, et je ne pouvais quitter ma femme à travers tous ces tristes jours, puis depuis que je le peux, Nys n’est pas libre ; mais il va l’être. –
Je vous enverrai des petits cuivres, j’en ai de disponibles, j’ai fait couper en plusieurs petits morceaux de grandes planches qui ne me servaient pas, et vos essais doivent pour les vernis nouveaux, comme pour les papiers « Ropsenfosse » être faits autant que possible sur cuivre ; – le cuivre s’aciére, le zinc ne compte pas, quoique souvent il donne des colorations très séduisantes.
– Pour l’os de seiche, il faut enlever au couteau toute la partie ossifiée, – le dos de la seiche,) et ne broyer que la partie friable : le carbonate de chaux. Il vaut mieux, il est même nécessaire si l’on emploie des papiers transparents de ne pas user d’émeri en poudre, mais de n’avoir recours qu’à des matières blanchâtres : Pierre ponce impalpable, poudre de verre etc – nous trouverons encore d’autres matières : albâtre en poudre, marbre blanc etc etc notre « ingéniosité » en trouvera malgré nous ! Le crayon 6H Faber qui marque peu sur calque doit se voir et l’émeri l’étouffe. – Il faut aussi songer qu’en dessinant soit sur Wathman, soit sur Hollande, on peut garder les dessins pour soi en enlevant les grains du verso, – au grattoir, et en collant une feuille derrière les dessins. C’est un avantage, & il faut y penser, car je suis persuadé que ce procédé une fois perfectionné, nous allons faire tous les deux des vernis-mous avec la facilité et l’exécution rapide et brillante de la lithographie ancienne.
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Et je le répète encore et je ne pourrais trop le rabâcher : surveillez vous lorsque vous ferez vos essais. Ici, je jette au feu le moindre chiffon de papier « à grain ». Un rien ! et tout est perdu ! – Des gens malins qui vous entourent comme Moreels par exemple, découvriraient tout de suite la boîte aux roses « le pot aux Rops » et tout le monde ferait des papiers à grains, et des vernis mous, comme on faisait de la lithographie, et c’est cette facilité, cette bavocherie *
À bientôt donc et à l’ouvrage.
Votre ami
Félicien Rops
P.S. Et pour commencer je recommande ma lettre !! Je vous donne l’exemple de « la précaution ». Enfermez vous dans votre atelier à la clef !!! c’est ce que je fais ! Et avant d’ouvrir faites disparaitre les traces d’essais et les preuves du délit.
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Lettre Documentée !
février 1892.
Détails
Support
2 feuillets, 7 pages, Vergé, Gris-vert?.
Dimensions
176 - 176 x 228 - 228 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR