Lettre de Félicien Rops à [Armand Rassenfosse]

Page 1 Recto : 1

vraiment, c’est très étrange la persistance de certaines illusions physiques. Depuis ton départ je ne peux me fourrer dans la tête que tu es venu à Paris. C’est que très probablement nous n’avons pas assez parlé de notre art, & que nous n’avons pas fait notre « vernis mou » notre « essai » décidé & définitif. Nous le ferons en mai, – sans faute ! C’est un besoin.

Fais-moi, à nouveau, le plaisir de m’envoyer la formule pour commander chez le chimiste de la Sorbonne, l’ambre en question. Cela sera commandé tout de suite, & tu en recevras une ample provision. – À propos de cette formule es-tu sûr que c’est la vraie ?

– Il me semblait qu’elle se composait de trois ingrédients, & tu ne m’en notais que deux. Pour raviver le n°5 qui me reste, tu m’as dit je crois de prendre de la benzine de houille, d’en mettre dans la bouteille où se trouve le vernis N°5, de chauffer la bouteille, – est ce tout ? Comment faire « chauffer » ? autre chose : Tu as acheté : Le nouveau manuel du Graveur, cela vaut-il 6 francs ? Il est vrai qu’il est toujours bon d’avoir ces livres parce qu’ils disparaissent plus vite que l’on ne croit. Ce sont des fonds de bibliothèque artistique, comme le « Traité pratique de la Gravure à l’eau forte par Karl Robert/Georges Meusnier ) 27 rue Saint Augustin Paris. Il y a là des choses assez curieuses, mais somme toute, rien que nous ne sachions à peu près.

Page 1 Verso : 3

Cela coûte 6 frs à cause des nombreuses gravures qui remplissent le livre. Je l’ai acheté, parce que j’ai de plus en plus l’envie de publier non pas un Traité de gravure à l’eau forte ! – que le ciel m’en épargne l’envie ! J’ai horreur des « Traités » des « Précis » des « Études » des « Grammaires », et de tout ce qui sent l’École, la Doctrine, le cuistre, le Professeur ! Professeur, comme je le dirai dans la préface, est un terme qui n’est amusant que lorsqu’il dérive de « Pro » et de « fesser » & qu’il s’adresse aux dames ! Je te dédierai cette préface où il sera question de toi. Je compte sur toi pour une planche dans tous les cas, un vernis mou. – Je veux faire une série de lettres amusantes, où je me ficherai des graveurs de l’École.

Il est vrai que Mr le Docteur Henrijean est professeur, et n’en a pas l’air, il y a des exceptions !

À propos du Docteur 1° Donne-moi je te prie son adresse, 2° Veux-tu en attendant lui demander si c’est bien quinze gouttes par jour prises en trois fois de teinture de Strophantus que je dois prendre, ou quinze gouttes chaque fois, ce qui ferait 45 gouttes par jour, – ce qui épouvante mon pharmacien ! En attendant j’ai commencé par prendre quinze gouttes par jour en trois fois, chaque fois cinq gouttes dans un demi verre à vin d’eau. Ne dois-je pas reprendre de l’iodure de sodium, ce médicament « m’avait semblé » me faire du bien. Ce qui me gêne le plus & m’attriste, c’est la suffocation, et l’œdème des pieds, qui monte quelquefois jusqu’au milieu du mollet. Puisque ton ami Henrijean a bien voulu m’entreprendre, il faut absolument qu’il me fasse vivre dix ans, pas un jour de moins, il me faut ces dix ans pour mettre en lumière les belles imaginations que je sens danser en ma cervelle. Je crois que pour ce, je ne le couvrirai pas d’or, mais il me fera l’honneur d’accepter un tableau, que je ferai avant les dix ans révolus, et même tout de suite !!! –

Tu vas encore recevoir de nouvelles planches de moi dans quelques jours. Je travaille trop, serait-ce un pressentiment de ma fin prochaine ?

Dis à Dewitte tout mon contentement & ma reconnaissance pour son excellent portrait. Je vais lui écrire dans quelques jours tout le plaisir qu’il m’a fait.