Numéro d'édition: 3102
Lettre de Félicien Rops à [Maurice Bonvoisin]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Maurice Bonvoisin
Lieu de rédaction
[Paris]
Date
1878/01/05
Commentaire de datation
Datation sur base de l'apostille.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
Bon/LE/44
Collationnage
Scan
Date de fin
1878/01/05
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops
Apostille
1878/01/05
Page 1 Recto : 1
Mon Cher Maurice.
Dès que je pourrai me remettre à l’ouvrage, je t’expédierai « le Scandale ». Il reste une besogne de deux jours, – petites choses de détail mais je trouve inutile de t’envoyer une machine inachevée.
Reçu – très intacte – la tante Johanna.
Quant à « l’historique » des deux dessins il est simple : La « Hour » est un dessin fait « d’après le vif » comme l’on disait anciennement ; à Heist, en 65 ou 66, je ne me rappelle pas très bien, c’était une espèce de « raccrocheuse de dunes » avec laquelle les pêcheurs libidineux se permettaient « les licences » les plus extrêmes, pour deux verres de bière & un hareng saur. – J’ai donné ce dessin à Delvau ainsi que « l’Engueularde » quelques mois avant sa mort en 1867.
« L’Engueularde » était le sobriquet dont on avait décoré une fille du Rat mort. (place Pigalle). c’était une malheureuse créature phtisique. Je prétendais qu’elle donnait des seances de « phtisie amusante » (horrible !!). Un jour ou plutôt un soir j’ai fait d’après cette horreur le dessin que tu possède, chez une autre fille bizarre appelée Antoinette, laquelle a été célébrée par Glatigny dans des Vignes Folles :
Antoinette nymphe athlétique
&c &c
À travers les grands paysages
Rubens eut baisé vos genoux
&c &c &c – Ce soir là j’avais entrevu la Buveuse d’absinthe dont ce dessin a été la Genèse. Cela vers 1866. Tout cela mon vieux évidemment est de l’histoire
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et déja de la vieille histoire !
Un détail : Ces dessins ont été fixés avec les premiers appareils fixateurs qui étaient a cette époque de vraies raretés. Et l’on ne fixait qu’en tremblant ! –
J’ai très peu, très peu fait de dessins à cette époque. Je ne faisais que de l’eau forte & j’y apportais l’ardeur d’un néophyte. Je vivais beaucoup au Rat mort avec Delvau, Courbet, Battaille, Carjat, &c – tous morts ! J’ai de curieuses notes de cette époque. Nous étions A. Daudet & moi les plus jeunes & de beaucoup de cette bande (j’oubliais Benassit qui est de notre âge) mais par un hasard qui arrive assez souvent notre génération avait peu produit, & les très jeunes dont j’étais ! avaient été forcés de se railler à ceux de la génération précédente. Les très jeunes : Catulle Mendès, Glatigny, Gouzien, Benassit, les deux Daudet, Claretie, s’étaient faits les compagnons, comme moi, de ceux qui nous paraissaient de beaucoup nos ainés : Carjat, Courbet, Monselet, Delvau, Malassis, Battaille, Amédée Rolland Bouilhet, &c &c lesquels avaient pour ainés « les jeunes » qui avaient suivi la guerre romantique : Banville, Baudelaire, Barbey d’Aurevilly.
À propos de ces dessins & des autres que tu auras je te conseille toujours de les faire photographier tant bien que mal, nous graverons tout cela un jour ou l’autre & cela sera curieux à son heure.
À bientôt donc « le Scandale » & les Canotiers puis cela ne s’arrêtera plus.
Non, Mon Cher Ami je ne grave pas le Stevens quoique Stevens m’ait fait demander, & devant témoins ! ce qui m’a étonné !! & m’a dit qu’il ne connaissait « que moi » pour le graver convenablement, que je ferais un Rops-Stevens si je voulais. J’ai refusé, en promettant cependant de faire graver Monziès, sous ma direction, puisqu’il me demandait de me charger de cette besogne, lui assurant d’ailleurs que Monziès n’en avait pas besoin. Monziès est venu me trouver aujourdhui avec une première épreuve, j’étais encore au lit, je n’ai pu le recevoir, mais l’épreuve me parait suffisamment bien. – Je connais la maison Stevens. – J’ai beaucoup d’estime pour le talent d’Alfred que je trouve monotone. cependant, & peu élevé comme portée d’art, mais. j’ai le plus profond mépris pour la maison Stevens. Je veux bien admettre que le meilleur chocolat est le
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chocolat Menier mais je n’admettrai jamais que la meilleure modernité soit la modernité Stevens lorsqu’il y a eu la modernité Gavarni, la modernité Eugène Lamy, la modernité Daumier, la modernité Brion, la modernité Courbet, la modernité Millet, & qu’il y a la modernité Nittis, la modernité Duez, la modernité de Gas, qui ne se bornent pas à peindre dans différentes robes une dame qui décachète une lettre ou qui regarde un japonais. Je me répugne de servir « la maison Stevens » dont Arthur est le chef de rayon. Ici les artistes l’ont remis cette maison à son vrai plan : « c’est le plus admirable peintre de “Vie moderne morte” qui soit au monde » & cela est juste. – Et c’est ma petite opinion. – Faut-il être au lit pour écrire d’aussi longues lettres ! Je ne me remets pas de ce typhoïtisme enduré. Une nuit de réjouissance & je suis sur le flanc. Je paie mon réveillon & surtout le « coup de chien » qu’il m’a fallu donner pour faire sept éventails en dix jours. Si Dalloz les publie par la chromophotographie, ce qu’il a l’intention de faire, avec la permission des propriétaires, je t’en aurai des épreuves. – Il y en a un, – celui d’Alice Hugo Lokroy qui représente une « République personnifiée par une tambour de la 33e demi brigade qui bat le Rappel dans une nuée de coquelicots, de géraniums rouges, de cinéraires écarlates, de houx aux fruits rouges &c qui est une chose amusante. – mais celui là le bon Dalloz, du moniteur, regardera à deux fois avant de le mettre en lumière & pour cause. Enfin c’est notre quart d’heure de Rabelais, il est passé, élevons nos palmes & remercions les Dieux !!!
À bientôt & bien à toi
Fély
* l’Éventail !!
Celui de Mme Gouzien c’est le frontispice du Journal de musique flori, & avec une phrase de musique : où peut-on être mieux &c ; – Un ragout de Jaunes opalins, de bleus turquoise, & de roses muqueuses-de-pucelle qui me mete en joie.
Celui – l’éventail ! – de Mme Ménars-Dorian
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une merveilleuse du Directoire entourée d’une envolée de pensées ; – celui de Jeanne Blanc des Jokeys galopant au milieu des violettes Bonapartistes ; celui de Mme Zichy : des amours-papillons avec des giroflées ; – celui de MlleDudley : des masques tragiques au milieu des lauriers d’or, d’argent & des roses &c &c &c assez !!! Enfin il ressort de tout cela que je suis un vrai peintre de fleurs du reste tu sais que je suis un vieux botaniste & un encore plus vieux horticulteur !! –
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Quadrillé (quadrlllage carré), Blanc.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
Photographie Vincent Everarts