Numéro d'édition: 0243
Lettre de Félicien Rops à [Alfred Delvau]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Alfred Delvau
Lieu de rédaction
Namur, 13 Rue Neuve
Date
1857/10/17
Commentaire de datation
Lettre rédigée entre la publication de l'article dans "Le Rabelais" le 17 octobre 1857 et la réponse d'Alfred Delvau le 18 avril 1858 (lettre parue dans le "Mercure de France", 01/07/1905, p. 5-7.)
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
APC/27194/28a+APC/27194/28b
Collationnage
Autographe
Date de fin
1858/04/18
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops, Fédération Wallonie-Bruxelles, acquisition réalisée grâce au soutien du Fonds Léon Courtin – Marcel Bouché, géré par la Fondation Roi Baudouin.
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Mon Cher Monsieur Fuchs,
Il y a six mois que je vous demande à tous les échos parisiens qui s’obstinent à ne pas me donner de réponse, j’en suis réduit à vous faire chercher par un photographe de mes amis, – quelle extrémité ! – s’il vous trouve après avoir fait les fouilles que je l’ai chargé de faire pour moi, il est probable qu’il aura la chance de vous remettre cette lettre que j’étais sur le point d’enfermer dans une bouteille et de confier aux flots changeants de la Mer du Nord, lesquels flots l’auraient probablement portée sur les bords de la Nouvelle-Zélande ce qui aurait vivement intrigué MrDe Humboldt. –
La première fois que j’ai lu (car je l’ai relu dix fois) l’article que vous avez écrit à propos de moi dans le Rabelais, je me
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suis dit : Voilà un Monsieur Léon Fuchs que je voudrais bien embrasser, je ne lui écrirai pas, j’irai l’embrasser, lui donner une vigoureuse poignée de main flamande et lui dire : merci. – Malheureusement mon voyage à Paris est différé, je resterai peut être encore six mois sans vous voir, il faut que je vous écrive, cela m’ennuie car que voulez vous que je raconte à ce chiffon : que ma modestie ne me permet pas… que je trouve ces éloges exagérés etc etc . . ma foi non, j’aime mieux vous dire tout simplement : Vous et Nadar, je ne l’oublie pas non plus celui-là ! – vous m’avez tendu vos mains fraternelles pour me tirer de l’obscurité de la province, vous avez eu de bonnes paroles pour le débutant qui essayait de se faire une petite place au soleil et qui ne rencontrait partout que l’indifférence ; – ce que vous avez fait pour moi, ce sont des choses qu’on n’acquitte pas avec des phrases, mais il faut espérer que :
petit crayon deviendra grand si le public lui prête vie
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et surtout s’il rencontre quelques amis comme vous ; – alors peut être pourrai-je vous rendre un peu de ce que vous m’avez donné. – En attendant ne vous gênez pas, je veux être largement votre débiteur, que pourrais-je bien faire pour vous ? :
N’avez vous pas un duel ? – un créancier ? ou un éditeur odieux ? – Si vous avez un duel je suis votre second, j’ai une botte que je tiens d’un de mes oncles capitaine aux ex-Royal Nassau ; – un créancier ? Nous le payerons si nous pouvons, si nous ne le pouvons pas, nous l’assassinerons ensemble, je saurai où sera le cadavre et je ne le dirai pas ! Quant à l’éditeur insipide nous violerons sa femme, sa fille, sa nièce, tout ce que vous voudrez et nous le forçerons la collection de Rabelais sur la gorge à imprimer vos œuvres Complètes ! – l’heureux polisson ! Ainsi c’est chose convenue, surtout n’oubliez pas de me faire un beau livre pour lequel je tâcherai de faire des dessins dignes de vous, venez donc faire un
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tour dans notre vieille Flandre si belle et surtout si calomniée, vous y trouverez une race forte, calme, paisible, des femmes aux grandes mamelles qui sont les mères et les filles de ces robustes travailleurs, – des paysages plats avec des prairies grasses et plantureuses dans lesquelles sont enfoncés jusqu’à la panse des troupeaux plus gras que les prairies, – Il y a dans ce pays une rage de bonheur domestique, le Flamand est heureux de son bœuf, de son chien, de sa bière brune, de sa grosse femme qui fait beaucoup d’enfants et qui les fait bien ; – c’est le peuple le plus casanier de l’Europe il est heureux et libre chez lui et il y reste ; – aussi dès qu’on touche a cette liberté il devient féroce, c’est un bœuf enragé : le Français meurt en chantant et en riant, l’Espagnol en baisant un crucifix, l’Italien en embrassant sa maitresse, le Flamand, lui, meurt en bonnet de coton sur le seuil inviolé de la maison domestique. – il se sont battus six-cents ans pour être libres. Venez
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il fait bon ici, – j’habite un chalet sur les bords de la Meuse d’où on respire à pleins poumons l’air des montagnes Ardennaises, Venez avec Nadar, il y a du soleil, de l’amour, des fleurs et toujours une place à table pour l’ami qu’on aime, je vous présenterai ma femme qui n’a pas de connaissances culinaires, ce qui est bon ; mais qui a du cœur ce qui vaut mieux, nous parlerons du passé et nous verrons l’Avenir en rose à travers les vieilles bouteilles de Bourgogne de mon grand père. –
À bientôt je vous serre la main de tout cœur.
Félicien Rops
Namurrue Neuve 13
N.B. On me dit que vous êtes Alfred Delvau je vous en félicite. – À propos je vais avoir un enfant, vous me l’avez annoncé le premier si c’est un fils je lui défendrai de me fréquenter. et surtout de fréquenter Nadar.
Détails
Support
2 feuillets, 5 pages, Lisse, Gris.
Dimensions
212 x 135 mm
Mise en page
Écrite en Plume Sépia. En-tête: Cachet sec "ANGOULEME".
Copyright
Photographie Vincent Everarts