Numéro d'édition: 1098
Lettre de Félicien Rops à [Octave Uzanne]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Octave Uzanne
Lieu de rédaction
Corbeil-Essonnes, Demi-Lune
Date
1891/10/23
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
III/1802/15
Collationnage
Autographe
Date de fin
1891/10/23
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
F Rops mort en 1898
Page 1 Recto : 1
Demi-Lune, 23 octobre 1891
Mon Cher Octave
Excuse moi de ne pas t’avoir répondu plus tôt, mais je viens seulement de tenir ta lettre. La Situation, malgré tes bienveillants pronostics, n’a pas changé, au contraire, elle s’est aggravée d’une nouvelle accusation, celle d’une faute que je n’ai pas commise (!!!) et dont je suis innocent comme un enfant. Je me suis défendu jusqu’au bout, mais je ne me défendrai plus, je n’en ai plus le courage. Je suis désespéré. Que veux-tu ? j’appartiens à la classe idiote des sensibles qui ne peuvent pas mettre leur vie en plusieurs endroits. Je n’ai jamais aimé que les deux chères femmes qui m’ont rendu la vie si douce, et m’ont donné les seuls vrais bonheurs que j’ai pu avoir dans la vie. En dehors d’elles, je me soucie de la vie comme d’un vieux gant. Les femmes ne comprendront jamais toutes les faiblesses auxquelles la Nature pousse la mâle imbécile qui est dans tout homme ; et elles prennent et prendront toujours l’accouplement d’une brute pour « de l’amour ! » Il n’y a rien à faire ni à dire. Je t’ai institué mon exécuteur testamentaire, comme mon meilleur ami, car j’ai pris de graves & sévères résolutions avec lesquelles je ne transigerai pas je te le jure. À part ta bonne amitié je ne regretterai pas grand’chose. Il n’y a pas crois le bien Mon Vieux, ici ni exaltation, ni pose, ni désespoir factice. Il y a simplement un monsieur
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très malheureux qui préfère s’en aller à l’Anglaise que de souffrir dans le monde qu’il a en horreur. La Vie n’est bonne qu’aux gens comme Haraucourt, et tant d’autres. Léontine & Aurélie ont vécu vingt quatre ans avec moi & ne me connaissent pas. J’ai eu vis à vis d’Elles de grands torts, si on ne fait pas la part d’un tempérament artistique spécial, et je m’en accuse, mais je ne suis pas tu le sais, le monstre forgé par leurs imaginations, et je les aimé de tout mon cœur et rien qu’elles. Elles ne le croiront jamais que lorsque je ne serai plus là. Rien que pour cela, il serait juste que je leur donne ma démission de vivant, ce serait presqu’un devoir.
Rassure-toi pour les résultats. J’ai en bon chimiste que je suis d’excellents procédés qui permettent à un honnête homme de s’en aller sans que personne, − pas même le médecin des morts ne peuvent voir goutte ; − Je hais les bavardages inutiles & les pitiés des sots. C’est en travaillant pour trouver des procédés de gravure que j’ai découvert celui-là. Cela m’aura toujours mené à quelque chose.
Pour tout le monde je serai victime d’un accident. C’est un peu long le procédé, mais il est sûr. À bientôt Mon Cher Ami, je t’écrirai encore ; − tu vois que l’idée en germe dans mon cerveau lors de ta bonne visite a poussé des feuilles et fleurira bientôt comme les fleurs bizarres de la Belladone Atropos. Il ne peut y avoir d’autre honnête solution. On ne fait jamais ces choses là avec un goût bien vif, mais on les fait, & je le vois maintenant, − de plus près, simplement parce que vos idées, et votre organisation vous empêchent de faire autrement.
Sans elles, je tomberais dans toutes les
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petitesses et les misères des gens désespérés, dans la bohème peut être, ou dans l’ivrognerie niaise de ceux qui cherchent un soulagement factice dans l’eau de vie ou dans le vin. Je ne le veux ni pour ma fille ni pour mon fils ni pour moi. Quand j’aurai la certitude que je ne suis plus bon à rien ici, & que je ne peux plus les rendre heureuses, je partirai très proprement avec les mains nettes de toute malpropreté.
Plus tard tu leur dira ce que je t’ai dit. Et comme un homme ne se tue pas pour son plaisir, elles te croiront et ce sera pour elles une satisfaction retrospective qui épurera mon souvenir.
Voilà Mon Vieil ami – déja ! – ce que je pense et ce que je ferai, je te le jure sur ma mère dont Léontine & Aurelie avaient le grand cœur, ce qui fait que je les ai aimées de tout le mien.
Fély
Je suis encore ici pour huit jours au moins, après ???
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Et surtout Mon Cher Ami ne leur parle pas de moi. Elles croirait que cette lettre a été écrite pour elles, et à toi elle persuaderait que je suis une canaille indigne de vivre, tout simplement.
Détails
Support
1 feuillets, 3 pages, Vergé, Gris-vert?.
Dimensions
176 x 227 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR