Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]

Page 1 Recto : 1

j’aime mieux savoir à quoi m’en tenir. Mais je ne comprends pas plus !! – voilà pourquoi nous t’avons blessé & cela ne me serait pas arrivé si j’avais pu soupconner un seul instant ce qui est, ou ce que tu crois être.

Tu ne resteras pas seul vieille bête, pas plus que je ne te laisserais seul si tus avais la petite vérole noire ! Nous ne parlerons plus de ces choses. Ni moi ni Gouzien nous ne les comprendrons jamais. – Le monde Mon Cher Léon est méchant & bête mais plus je deviens vieux et plus je vois qu’il rend à chacun justice selon ses œuvres. – Il ne se trompe jamais tant que cela. C’est nous qui nous trompons, & qui sommes trompés, – toujours. Notre cœur & notre imagination sont nos jolis complices. J’ai fait quoique tu en dises, le tour des douleurs humaines & comme les ouvriers qui faisaient le tour de France j’y ai gagné ma maîtrise. Chacun croit toujours souffrir plus que les autres,

Page 1 Verso : 2

de même que chacun croit ne pas se tromper : Ta lettre m’a rappelé presque mot pour mot la lettre de ce pauvre Ernest Parent lettre qu’il m’écrivait la veille de son mariage, – je croyais moi aussi qu’Armand se trompait quand il me parlait de la petite Renaud. – Tu ne te trompes pas ! les femmes et n’importe lesquelles, depuis Mmede Metternicht jusqu’à la cantinière du coin sont tout ce que tu dis pour leur amant, jusqu’à la fille à trois francs, elles ont « des trésors de dévouement, d’amour & de désintéressement » à leur heure & lorsqu’elles aiment, fut ce pour la quarantième fois !! Qu’est ce que cela prouve ? Et où est le mérite de la vertu, prenant le mot dans le sens qui est nôtre : c’est à dire, la force la dignité et le courage de l’esprit & du caractère, si l’on devait s’abandonner à n’importe quelle femme qui vous prouve qu’elle vous aime ? – On ne raisonne pas ces choses là ? Si, on les raisonne, et on doit les raisonner, & l’on ne peut s’abandonner à leur entraînement, lorsque tout ce qui fait la vie, la considération, la famille, l’amitié l’amour paternel, et le respect de vous même sont en jeu ! J’ai été aussi pincé & ébranlé que toi & crois moi il m’a fallu une force dont je ne me croyais pas capable pour ne pas dire à Alice : partons et vivons pour nous à Paris, n’importe où. – Mais tous ceux qui

Page 1 Verso : 3

ont des nerfs, de la tête & du sang ont passé par là ! Tous ! Gouzien s’en est tenu à l’écart, sans cela évidemment cela lui serait arrivé, et cela lui arrivera peut être ! mais on en sort si l’on a quelque peu d’énergie & d’amour propre ou de fierté personnelle.

– Nous ne reparlerons donc plus de cela, Cher Vieux. Je te souhaite de rencontrer dans la vie une jeune fille honnête, saine, et jolie qui t’aimera, te fera de beaux enfants, qui te ramènera dans le vrai, dans le bon & dans le beau qui n’existent pas sans l’honnêteté réelle, sans le travail, sans la pureté d’esprit, sans la simplicité de cœur sans la grande bonté de nos mères. Ce jour là le plus heureux de nous deux, ce sera moi. J’ai été sauvé comme cela.

Je t’embrasse & oublions et déchirons les lettres que nous nous sommes écrites par un malentendu.

Je ne croyais qu’à une attraction de peau, il y a plus c’est plus grave mais tu as une bonne constitution tu en sortiras.

Ci-jointe une lettre pour Artan je n’ai pas son adresse.

À toi.

F