Lettre de Félicien Rops à [Joséphin Péladan]

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On me remet votre intrépide « Salon», & je vous admire non pas tant pour l’avoir fait, car fait : la vaillance de vos dires vous attirera toujours des admirateurs & les rares suffrages de quelques esprits ennemis des foules, & pour lesquels la Popularité n’est que le Succès naturel de la Banalité ; – mais pour avoir eu le courage de l’entreprendre. Car vraiment Mon Cher Péladan, la meute des roquets & des mastiffs se fait nombreuse sur vos talons !

Après ce que vous avez écrit sur l’Art, – & avec quelle indépendance d’allures !! – se voir refuser une carte d’entrée par les étranges vertebrés qui dirigent : « La Société des Artistes Francais» c’est presque de la « gloire ». Votre Salon est le seul qui ait été écrit & pensé. Je ne vous

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remercie pas des choses trop belles que vous avez dites de moi. Elles me forceront peut être à tâcher d’exécuter ce que parfois, je veux de moi – Elles ne me donneront pas de petites vanités, mais elles me forceront peut être à légitimer mon orgueil par des œuvres dignes de lui. – J’aurais trop à vous remercier.

– J’ai appris en lisant votre Salon, que Knopff. Vous n’y perdrez pas Mon Cher Péladan je lui trouve beaucoup de talent, & je ne peux pas vous plaindre, quoique j’eusse eu un certain plaisir à graver la belle Sainte Sébastienne que j’ai dessinée en pensant à Madame Clémence Couve, un esprit & un cœur transpercés par les archers jaloux de l’Éternelle & Immuable Province, & qui sont les gardiens de la sottise.

– Donc, ceci anéantit la proposition faite dans ma dernière lettre.

Je vous dois encore deux eaux-fortes parce que celle de À cœur perdu a été tellement ignominieusement saccagée par Delâtre, que je ne reconnaissais plus mon cuivre, & que du coup je l’ai rayé de la liste de mes imprimeurs.

Je vous remettrai des épreuves

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de ce cuivre tirées chez moi, & à votre tour, vous ne reconnaîtrez pas votre frontispice, je vous l’assure.

Je suis très impatient de lire : « Istar », – Ne m’oubliez pas dans l’envoi ! À cœur perdu m’est avis, est à la fois, votre plus beau livre, & le plus faible aussi ! Opinion très brutalement sincère, comme je vous l’ai déja manifestée sous une forme un peu gauloise. Il y a là des pages qui égalent les plus belles choses écrites ou parlées dans les langues humaines. Tout à fait géniales !! Et à coté de cela des vulgarités peut être voulues, mais blessantes certainement pour certaines délicatesses qui ne s’effrayeraient pas de mots crus, mais s’ébrouent aux Communes expressions.

Somme toute votre titre « Éthopée» n’est pas juste. Ce ne sont pas des passions que vous peignez, mais des rêves de passions. Vos héros comme on disait il y a cent ans, ne vivent pas d’une vie vécue en aucun lieu, mais d’une survie rêvée par vous, également : en aucun lieu !! Quelle drôle d’idée d’avoir frontonné votre œuvre

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si vibrante d’ailleurs de cérébralité, d’un titre qui est l’opposé de vos tendances artistiques : Éthopée !

Je crois que dans une étude que je compte faire bientôt de votre œuvre, je m’expliquerai mieux. Je trouve que dans la Critique que l’on fait de vos livres, on se trompe & que l’on n’en comprend rien : ni la hauteur, ni les qualités de langue, ni la physiologie très spéciale & introuvée jusqu’à présent. On me demande des articles, dans la plus graves des Revues, & des articles « littéraires », sous un pseudonyme, Je veux commencer par les cinq volumes de : la Décadence Latine. Ce que j’en dirai soulèvera de grosses colères, et peut être même ne serai-je pas d’accord avec vous sur vous même. Mais peut être auss y trouvera-t-on des notes & des apercus intéressants sur l’Art très nouveau que vous avez mis en forte lumière, dans une donnée purement psychique, quoique vous en disiez vous même.

Venez vous me voir ; ou vais-je moi chez vous ? Il est bon que nous tirions au clair un peu toute

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cette eau très contaminée, remuée dans la bonne Marseille. J’y tiens beaucoup & je veux me faire une religion personnelle sur ces faits & sur ces dires.

Je ne vous croyais pas à Paris sans cela, j’eusse hâté toutes ces explications très nécessaires, je vous l’assure.

Je serai chez moi Mardi de 10 à 11 heures du matin Mercredi & Jeudi également : 29-30-31 Mai.

Si vous préférez que j’aille chez vous ou que nous nous donnions rendez-vous dans quelque Café, dites le moi.

Si vous préférez venir avant 10 heures du matin vous le pouvez, je me lève à cinq heures du matin. Je mets 10 heures parce que je sais que vous êtes cubileux, (comme vous diriez) de nature, Péladan-Clinèrès ! Vous voyez que moi aussi je néologise en mes moments perdus ; comme un simple Nébo !

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