Numéro d'édition: 1548
Lettre de Félicien Rops à [Eugène Demolder]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Eugène Demolder
Lieu de rédaction
[Paris]
Date
1890/06/03
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
72039/16
Collationnage
Scan
Lieu de conservation
France, Paris, Ancienne collection du Musée des lettres et manuscrits
Aucune image
Page 1 Recto : 1
Paris le 3 juin 1890.
3 heures.
Mon Cher Eugène
Quand tu recevras cette lettre, je ne sais trop si je continuerai a orner agréablement notre planète de sa présence. J’ai un duel demain matin, mes témoins et ceux de la partie adverse, sont en train gravement de discuter toutes sortes de choses bêtes qui ne serviront à rien. Ce qu’il y a de plus ridicule en cette affaire c’est que si les témoins décident que l’on ne se bat pas à Paris, il faudra que nous allions nous échanger un tas de balles à Bâle, sans calembour ! Et ce qui est encore plus bête, c’est que j’ai tort ! et que je serai forcé stupidement de servir de cible, d’abord, à un adversaire « digne » que j’ai insulté comme s’il était le bon Dieu. Il tire le premier et il tire juste. Vraiment & sans forfanterie ton cousin est bien, moralement. Somme toute cela ne serait pas une fin bête, si le mélodrame n’y avait part. Je représente le traître du cinquième acte qui reçoit le châtiment de ses crimes, après la scène à faire ! Je ne blague pas : moral excellent, après un déjeuner bien digéré. Quel estomac ! Je digérerais la sculpture de Geefs l’ancien, le père l’oncle le Tuteur de tous les Geefs. Franchement si je tombe raide, cela m’embètera, mais je ne finirai pas trop mal ! J’ai fait à peu près le tour des
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sensations humaines. J’ai cinquante cinq ans (crois-tu ? je n’en ai jamais autant avoué ! ah la présence de la mort !! c’est ça qui pousse à la franchise !) et j’aime mieux cela que de mourir dans un lit en acajou plaqué, comme un notaire.
– L’endroit choisi est charmant, il y a de beaux arbres et un rossignol qui chante la musique de Bizet, que j’aimais beaucoup au temps où j’étais encore en vie. Cette opinion musicale ferait hurler Dommartin, qui n’a que cela à faire. – Je ris, mais à parler franc, j’ai un fonds de mélancolie. C’est bête comme tout cette querelle ! Que veux-tu ? cette sacrée jeunesse fait toujours des siennes ! Enfin si je ne te donne pas signe d’énormément de vie après demain, c’est que le Mr, (et il est lait ce cochon là !) m’aura fusillé. Ce qui est embêtant c’est l’attente ! Voilà deux heures que je recite du Verlaine :
Toutes deux regardaient s’enfouir les hirondelles ;
L’une pâle aux cheveux de jais, et l’autre blonde
Et rose….
où C’est à la Villette
Qu’va la fillette !
Ah ah boum la là !
Boum là là.
Ah Ah !
Ah. Ah !
Puis mon Ovide me revient ! : «
Non ego mendosus ausim defender mores
,
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Falsaque pro vitiis arma movere meis
. « Je ne prétends point (prétends c’est en « bon français » !) défendre la cochonnerie de mes mœurs, ni avoir recours à des blagues pour justifier mes saloperies !
(Traduction F. Rops de l’Université d’Upsal !)
ou : Aussi je vas me raidir pour marcher
Sans que ça m’émeuve,
C’est pas moi que j’voudrais flancher
Devant la veuve !
J’veux pas qu’on dis’que j’ai eu l’trac
De la lunette,
Avant d’éternuer dans l’sac
À la Roquette. (Bis !)
ou : – Ainsi toujours poussé vers de nouveaux rivages,
– Dans la nuit éternelle entrainé sans retour….
m’en fiche !
J’aime mieux :
Ah y gn’en a
Gn’en a
Qui sont bien canailles
Ah y gn’en a
Que je n’en parle pas !
Y s’en vont courir la gueuse
Y la baisent, et d’dans des lits !
Et leur femme la malheureuse
Elle attrape la maladie !!
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Mais tout ça cela n’est pas sincère, et entre nous je préfèrerais n’avoir pas insulté le Mr qui est laid comme un cochon, et qui tire juste, et me promener en ce moment sous les ombrages du Pausilippe.
Mais rassure-toi pour l’honneur de la famille on ne tremblera pas trop. Puis je me fie à ma chance pour la 3e fois !!
– Vrai : tout cela me paraît long. Je voudrais encore vivre une soixantaine d’années – pas plus. J’ai tous mes cheveux, des dents d’hippotame, et un rein sur lequel Louis XIV passerait à pied sec. Aussi que le Mr, laid comme un cochon, & qui va tirer le premier, ne me manque pas. Sans cela ! – Je tirerai en l’air ! – J’aime pas tuer les Messieurs laids qui ont raison. Car il a raison ce cochon là !
À propos dis à mes amis de la Jeune Belgique qu’ils me fassent la joie de cesser la scie
Si toutefois le Mr qui est laid comme un cochon ne me casse pas la patte droite !
Mais motus sur ceci hein ? c’est grave & sérieux. Pas un mot à personne gros bavard.
Je t’écrirai longuement à ma prochaine survie.
Bonnes amitiés.
Ton petit cousin
Fély
Motus hein ??
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages.
Dimensions
indisponible x indisponible mm
Copyright
Ancienne collection - Musée des lettres et manuscrits