Numéro d'édition: 1632
Lettre de Félicien Rops à [Jules Noilly]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Jules Noilly
Lieu de rédaction
Mettet, Château de Thozée
Date
1878/01/28
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
Amis/LI/006/LE/002
Collationnage
autographe
Date de fin
1878/01/28
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops, Les Amis du Musée Félicien Rops
Page 1 Recto : 1
28 janvier 78.
Château de Thozée par Mettet
Province de Namur
Belgique
Monsieur,
Il y a déja plusieurs jours que je désire vous écrire, d’abord pour vous dire combien j’ai été à la fois heureux & flatté du soin tout particulier que vous avez mis à collectionner mes œuvres, que je voudrais plus dignes de l’attention des bons esprits ; – et ensuite, pour vous remercier de votre très gracieux accueil. En relisant les notes que vous m’aviez remises, relatives aux sujets à faire pour les « Cent Croquis » j’ai constaté, avec plaisir, qu’il existait entre vos idées & les miennes une conformité qui m’avait déja frappé lors de notre entrevue, & qui me rendra facile l’exécution de vos projets écrits. Je vais vous en donner une preuve qui vous étonnera : Dans vos projets, j’en trouve trois, dont j’ai fait les croquis depuis deux ans & même avant ; – 1° Le boudoir « femme laçant son corset avec un gandin l’admirant, la seule différence entre mon croquis & votre note, c’est que ma femme se coiffe, au lieu de laçer son corset, mais « le gandin l’admirant » y est, et la toilette décrite est à peu de chose près la même. 2° J’ai fait une étude de femme « vue de dos à son piano » comme celle que vous décrivez. 3° La Révolution.
– Ceci est encore plus curieux comme rencontre d’idées. – Vous m’indiquez la Révolution : « Une femme nue Képi sur la tête, sabre au coté or en 1873 j’ai fait un dessin qui représente « La Commune » personnifiée par une femme nue Képi sur la tête & sabre au coté ! Ce dessin est la propriété de Mr Rorcourt à Bruxelles.
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Celui que je vous envoie & que je viens de faire ne ressemble en rien à l’autre naturellement. J’ai même eu soin de faire la chose d’une manière opposée, tout en suivant vos indications qui me plaisent. Ce sont là des coïncidences singulières, mais qui expliquent par une certaine communauté d’idées l’intéret que vous portez à mes travaux & qui m’est, croyez le bien, un encouragement flatteur. Je ne tiens à produire, que pour quelques personnes avec lesquelles je me sens en communion de pensées, qui ont les mêmes vues artistiques relativement à notre époque & à la modernité, & qui jugent de la même façon les hommes, les femmes & les choses de notre temps. Je voudrais bien m’appeler Gavarni, Millet, Rousseau, Daubigny, Courbet si je le pouvais, mais jamais les réputations de Doré & de Grevin, qui sont pourtant bien grandes, & jusqu’à un certain point justifiées, ne m’ont troublé en mon obscurité. Vous voyez que j’ai une façon qui m’est propre, d’être vaniteux.
Pour en revenir aux Cent croquis, j’ai fait avant de partir de Paris, d’après nature, dans l’atelier d’un de mes amis, – n’ayant pas ici les modèles nécessaires, – les études préparatoires pour les dessins que vous m’avez demandés, je suis en train de les achever ici, & j’expédie à Madame Lafève ceux qui sont terminés.
Quoique très éloigné de faire de la question d’art une question d’argent, cependant je tiens à l’heure présente à ne plus être exploité, ni par les éditeurs & les marchands, ni par « quelques amis » qui n’ont « d’ami » que le nom. Ceux, qui, en invoquant l’amitié, se sont procuré, à une certaine époque, des dessins ou des peintures que je leur cédais à des prix dérisoires, & uniquement pour ne pas leur en faire cadeau, ont pu revendre avec de beaux bénéfices & même se vanter de ces petitesses ; mais ce sont là choses qui n’arriveront plus je vous l’assure, & je maintiendrai les prix que je fixe à mes dessins & à mes
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tableaux, par dignité pour moi même & pour mon art. –
Dans l’intérêt même des amateurs qui me font l’honneur de me collectionner, & pour qu’ils ne soient pas exploités par les intermédiaires & « les amis » de hasard, – qui très souvent ne sont pas du tout, heureusement, « mes amis » je tiens à finir d’une façon nette & « commerciale » puisqu’il le faut, les prix de mes dessins, pour le moment. Je ne fais & je ne ferai jamais « un croquis » de la dimension des dessins des Cent Croquis (qui pour la plupart ne sont pas des croquis mais des dessins, dont beaucoup sont très poussés,) moins de cent francs. – Deux cent francs, les dessins finis de la même dimension ou à peu près. Les dessins plus grands tels que le Rydeak, la dame au Pantin, la Buveuse d’absinthe, Un arrivage de 300 à 500 francs. Les dessins de grande dimension à personnages, dessins-tableaux comme l’Attrapage, la Saisie &c &c de 700 à douze cents francs.
Le grand dessin de l’Attrapage qui à mon avis est moins bon que la première esquisse que vous possédez, a été vendue sans intermédiaire 1.500 francs & ce n’est pas le « prix fort ».
Je suis forcé d’ailleurs par ma façon même de travailler, par le prix auquel je paye mes modèles, – modèles complaisants, & modèles « par gracieuseté », – les plus chers ! – par le monde bizarre & souvent coûteux que je suis forcé de hanter, si je tiens à reproduire sincèrement la physionomie si multiple de notre époque de vendre mes dessins à un prix raisonnable, qui n’est jusqu’à présent qu’un remboursement des frais qu’ils me coûtent & qu’ils m’ont couté. Voilà une lettre bien Commerciale Monsieur, n’y voyez, je vous prie, qu’une façon de vous être agréable & rien autre chose.
J’espère du reste, si tel bien entendu est votre désir, que lorsque je serai entièrement fixé à Paris en avril prochain, nous n’aurons
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pas besoin d’intermédiaire. – Mme Lafève est un intermédiaire fort raisonnable & qui fait même quelque fois même, (probablement parce qu’elle a eu besoin de faire de l’argent rapidement) des affaires peu avantageuses pour elle. Elle vous repasse les Cent Croquis au prix qu’ils lui coutent. Du reste, Monsieur, si cette série vous déplaisait à continuer, je peux fournir à Madame Lafève un autre amateur qui serait prêt à reprendre la main. – Je l’avais engagée à vous proposer cette affaire parceque, comme cette série me paraît fort intéressante, – & est dans une note nouvelle ; j’étais heureux de la voir entrer dans votre collection, si complète déja.
– Elle me dit, dans une de ses lettres, par laquelle elle me demande de lui envoyer de nouveaux « Cent Croquis » que vous n’aviez pas « l’air satisfait de la convention ». Je ne voudrais pour rien au monde que Madame Lafève vous imposât sur une parole peut être donnée vaguement, des dessins qui puissent vous déplaire. – Je peux même à ce propos vous faire une proposition moi-même : Je suis en ce moment occupé au Musset qui est « ma marotte » je me suis mis dans la tête d’en faire « une œuvre » si je suis de force à la faire ! je veux tâcher de mettre la dedans tout ce que je peux y mettre, et de faire œuvre d’art si je le peux. Ces dessins seront finis autant qu’il sera possible, je veux les pousser aussi loin qu’il sera en mon talent de le faire. Je vous enverrai dans quelques jours le premier dessin, vous jugerez. Je demande deux cents francs par dessin, je ne peux en donner que quatre par mois & cela en travaillant beaucoup, car je veux avec cela faire un nouveau début parisien. Si cette affaire vous plaît je vous enverrais les dessins au fur & à mesure de leur production, – seulement vous me les prêterez pour la gravure. En outre
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« pardessus le marché » comme disent les notaires, vous aurez droit à deux épreuves des eaux fortes, – l’une de premier état & l’autre avant la lettre. Ces épreuves se vendront cinquante francs les deux pour le public. Cela vous diminue de cinquante francs le prix du dessin. Mais nous ne concluerons rien avant que les deux premiers dessins n’ayent été vus par vous. Les conditions que je vous fais pour le Musset sont celles qui me sont offertes par un amateur de Londres, mais cela me déplait de savoir ce Musset à Londres. Je voudrais avec la permission de l’acquéreur. l’exposer & le faire voir ici & dans ce but y mettre tous mes soins. Je veux faire ma première grande œuvre. Vous voyez que je ne suis pas seulement vaniteux mais encore ambitieux ! –
Si je ne suis pas à Paris le mois prochain je vous ferais voir ce Musset par Mme Lafève. – Je travaille depuis un an à rassembler les matériaux de l’œuvre & j’ai fait faire des « robes du temps », ma « marotte » m’a poussé jusque là.
J’ai quelque honte à traiter pour la première fois des conditions matérielles de mes œuvres, mais j’y suis forcé. Depuis quelque temps, on me trompe & on trompe mes collectionneurs, tantôt en surfaisant les prix tantôt en les rabaissant, & je ne mérite :
« ni cet excès d’honneur ni cette indignité »
Je prefère en traiter aimablement avec eux.
Recevez Monsieur l’expression de mes affectueuses Civilités
Félicien Rops
Je joints à cette lettre une gravure du
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Musset de Bida (il est bon d’avoir sous ses yeux les choses que l’on veut éviter de faire,) – Mes dessins auront à peu près la dimension de de l’encadrement rouge 12 sur 18 centimètres. C’est une belle dimension qui permet tout le détail possible, & le fini le plus absolu.
FR
Détails
Support
.
Dimensions
181 x 232 mm
Copyright
musée Félicien Rops (Province de Namur)
Personnes citées
Oeuvres citées
Félicien Rops- Cent légers croquis pour réjouir les honnêtes gens
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Félicien Rops- La révolution sociale
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Félicien Rops- Le Rydeack
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Félicien Rops- La dame au pantin
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Félicien Rops- La buveuse d'absinthe
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Félicien Rops- L'Attrapage (ou L'Attrapade)
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Félicien Rops- La marotte macabre
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