Numéro d'édition: 1705
Lettre de Félicien Rops à [Armand Rassenfosse]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Armand Rassenfosse
Lieu de rédaction
Paris
Date
1890/01/09
Commentaire de datation
En 1890, le 9 janvier tombe un jeudi et non un vendredi.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6957/19/34
Collationnage
Autographe
Date de fin
1890/01/09
Cachet d'envoi
1890/01/29
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
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Vendredi matin 9. Janv. 1890.
Mon Cher MrRasenfosse
j’ai bien reçu le vernis N°4, et j’ai seance tenante fait un petit croquis avec le susdit vernis. Il faut garder la formule de ce vernis, et tâcher de l’améliorer.
J’ai procédé comme vous me l’avez dit et voici le résultat de mes observations, faites un peu en hâte je l’avoue :
Tel qu’il est il est déja précieux pour les retouches. Et il me parait ne pas remordre. Or comme nous cherchons surtout un vernis qui ne remorde pas ; il y a comme vous le dites : un pas en avant, certain.
Ses défauts tiennent d’abord à son mode d’application. Le pinceau laisse des stries, qui disparaissent par la chaleur, mais qui restent « comme différence d’épaisseur » très visibles à la loupe. D’où des inégalités dans le travail et surtout dans la morsure ce qui n’arriverait pas si le vernis pouvait se rouler, – mais pourra-t-il se rouler ??
– Je crois que par l’addition du Ropsenfosse, il gagnerait en netteté & beauté de grain, mais surtout il ne faut rien lui faire perdre de sa solidité ! – qui est précieuse. et cela avant tout !
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Je vous envoie la liste des produits de la maison Duroziez. Si vous jugez que quelques-unes de ces « spécialités pour les arts » peuvent vous être utile dans vos recherches, écrivez le moi, je vous les enverrai. Il faut les commander d’avance. J’ai dû faire de même pour le Vernis Copal. Il n’y en avait plus de préparé, c’est pour cela que je vous ai fait attendre l’envoi.
Cette pharmacie « artistique » avait été créée au beau temps, où un tas de cochons des Académies couvraient les murailles de tous les Monuments de Paris d’un tas de fresques à la cire etc etc, – D’où : Duroziez ! Tant que le bon papa Duroziez a vécu, la pharmacie tenait toujours prêtes d’excellentes petites bouteilles rondelettes, pleine d’excellents produits. Mais le père Duroziez est allé potarder dans le paradis, et il a été remplacé par un neveu, potard sans zèle, qui attend qu’on lui commande « les produits artistiques » « pour les avoir meilleurs » à ce qu’il paraît. – Donc donnez moi la liste de ceux que vous désirez, et nous les aurons, au bout de quelques jours. Ce sont des produits très purs et bien préparés.
J’ai retrouvé la formule – sans les quantités ! que j’employais pour retrouver « le vernis de l’avocat » – dans un tas de paperasseries, en farfouillant, il y
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y a deux ou trois jours. – Je vous la donne pour ce qu’elle vaut ! :
Deux parties vernis blanc en boule ordinaire delayé dans de l’essence de thérébentine rectifiée.
Une partie Copal à l’essence de Duroziez – Plus, si l’on juge convenable.
Une partie Blanc d’argent en tube à l’huile (½ partie.)
Une partie Cire à l’essence.
Une demi partie suif chauffé & fondu au bain marie. Suif des bouchers
Broyer le tout avec un peu de liqueur à mater, de l’essence de thérébentine
rectifiée & quelques gouttes de glycérine.
Étendre au pinceau (un blaireau large) le plus soigneusement possible,
& chauffer pour egaliser le vernis.
Quelque fois cela réussit, quelque fois cela ne réussit pas ! C’est après que fatigué des non réussites, j’ai cherché à ajouter de la paraffine, de l’ambre et de la Gomme Elemi, – autre époque.
Je grattais des boules de vernis blanc ordinaire, Je laissais macérer, « les grattages », dans de la thérebentine Duroziez – qui est admirablement rectifiée – dans un vase quelconque, et avec le Copal à l’essence, cela formait la base de mon vernis. C’est de cette formule que par hasard, par un hasard de quantité, est sorti le « vernis de l’avocat » ! J’en
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suis certain. Et cette même formule ne m’a plus donné, malgré toutes mes recherches dans les combinaisons de quantités, que des vernis à mauvais grains presque toujours poisseux. Ces vernis n’eussent pu servir qu’assez difficilement de vernis à recouvrir, car le blanc d’argent le rendait un peu blanc mat. Ce que j’avais voulu pour mieux voir la morsure positive au chlorate. Puis la couleur blanche à l’huile (que l’on emploie dans les vernis blancs mats dont se servent plusieurs graveurs anglais : Hamerton surtout, à ce qu’il parait) – empêche beaucoup « les piqures » et même les remorsures. Chauffée, pour la sécher mieux, elle donne de la solidité. Si on est met trop elle fait poisser le vernis et produit des sillons.
Comme vous le voyez, j’étais parti d’une autre donnée, d’un autre « orient » que celui auquel nous visons pour l’instant. J’ai fait du vernis mou depuis huit ans, sans jamais pouvoir, par négligence, par manque de balances, par incurie me décider à peser les quantités ; – et chose bizarre quand je les faisais peser : – tout ratait ! et alors absolument ! Tandis que me fiant à mon instinct et à un vieux tour de main j’obtenais de temps à autre un vernis mou suffisant ainsi que vous avez pu le voir dans la plupart de mes planches telles que les Diaboliques, etc etc et quelque fois même parfait à tous points de vue comme celui de l’Aspiration du Dimanche en Flandre, & de beaucoup d’autres planches, entr’autres celui de La Pudeur de Sodome, fait d’après la formule
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à l’ambre & au mastic, ma 2e manière !
– Donc un vernis mou blanc s’obtient assez bien, mais ce qui s’obtient difficilement. c’est un vernis-mou qui ne remorde pas à la deuxième application. Et c’est pour cela que bien de mes planches sont inachevées. Dès que je sentais le cuivre manquer sous la première morsure, j’enlevais le vernis, à la thérébentine, puis je restais le bec dans l’eau, sans pouvoir parvenir à retoucher, le vernis mou ordinaire remordant sous l’action de n’importe quel acide. L’aqua-Tinte & le rouleau à faire remordre m’ont rendu des services, quelque fois, mais souvent au prix de la disparition du vernis mou primitif comme dans le Vieux Faune ou son anihilation partielle comme dans la Nubilité que je vous enverrai au premier jour avec d’autres planches.
– Vous concevez quels hasards ont présidé à ces vernis mous !! – Et c’était même très séduisant cette recherche presque journalière de l’inconnu. La loterie au vernis mou !
– C’est pour cela que je n’ai pas voulu dans le livre de Delâtre parler du vernis mou blanc ! Je n’avais pas de données certaines ! Un jour naissait sous ma molette un superbe vernis mou blanc : celui de « Très vieille » qui se prêtait à tout. J’en avais très peu je veux le refaire : rien ! – Quinze jours après nouveau vernis mou superbe : celui de Vendangeuse, fait avec de la Cire à l’Essence, de l’Elémi, de la Couleur à l’huile, du Copal à l’Essence, de l’essence
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de lavande, du vernis en boule, de la liqueur à mater, – etc etc. Je le recommence : cela me donne un vernis à sillons ! Je le rerecommence : vernis trop dur ! Au bout de trois heures c’était de la pierre ! Vous concevez que j’en avais assez. Actuellement nous avons donc le vernis Ropsenfosse que l’on pourra consolider un peu pour les croquis et les premiers travaux, et le vernis N°4. – le dernier pour les retouches. Très solide Nous débrouillerons tout cela ! et nous arriverons à trouver ce qu’il nous plaira trouver. Voilà encore un « fort devis » sur les vernis, mais il faut bien vous apprendre ce que j’ai fait et comment je faisais les « vernis-mous que j’ai faits. Vous voyez que ce n’était pas sans peine ! Et que pendant que l’on me croyais des procédés « impeccables », je nageais dans les eaux bourbeuses de l’Éternel Tâtonnement !
Il fallait vraiment avoir au cœur le feu sacré du vernis mol pour continuer à en faire. De tout cela il sortait parfois d’excellents résultats, et parfois de fort mauvais ! – Ce qui me sauvait, souvent, – malgré les désagréments, c’est l’adresse que j’avais acquise à poser des grains avec ma machine à aqua-tinte. Je commençais par là, puis je vernismoussais, et le grain de l’aqua-tinte donnait de la finesse aux grains de vernis-mous, même mauvais ! Le brunissoir & le grattoir achevaient le sauvetage. Certaines planches, dont les artistes m’ont fait des éloges sont gravées avec d’affreux vernis,
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j’avais, à force d’en faire « la science » et la pratique des morsures en vernis-mous de n’importe quelle qualité !
Et voilà le récit des heurs et malheurs, d’un vernimousseur.
Je vous serre affectueusement la main,
Félicien Rops
N.B À propos : dans quoi faites vous dissoudre la paraffine ? J’employais du naphte & plutôt l’essence d’aspic.
J’oubliais : un vieux photograveur m’a dit que de tous les systhêmes le systhème à volant (celui que j’ai toujours employé,) était le meilleur, pour les boîtes à grains. Alors, je garde mon horrible boîte, je la fais démolir par son créateur, et je vais la faire réédifier dans l’atelier. Cela me coûtera à peu près aussi cher dans faire faire une neuve, mais cela vous évitera un tas d’ennuis.
Croquis
Mais il n’y a pas besoin de support, comme celui que vous dessinez dans votre avant dernière
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lettre. Masson le graveur en a une elle est dans un coin de l’atelier et on l’a couverte de dessin et d’inscriptions funéraire. On n’a qu’a retourner le « cercueil » sens dessus dessous, et alors on entrouvre la porte à glissière et on pose le cuivre sur les tassaux
Croquis
porte à glissière intérieure fermée avec un crochet. / cuivre / résine
Maintenant deux supports ne rendent la besogne que plus facile, seulement sa tient de la place.
Ce systhême est moins bon que le soufflet à ce qu’il paraît. Mais « l’armoire à grains » est vraiment la meilleur et le plus nouveau systhème, pour les grains imperceptibles.
À bientôt
Félicien R.
Si vous avez des résultats avec le n°4, je serai curieux de les voir.
Détails
Support
3 feuillets, 8 pages, Vergé, Crème.
Dimensions
175 - 175 - 175 x 224 - 112 - 112 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR