Numéro d'édition: 1757
Lettre de Félicien Rops à [Armand Rassenfosse]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Armand Rassenfosse
Lieu de rédaction
Paris
Date
1892/02/06
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6957/19/86
Collationnage
Autographe
Date de fin
1892/02/06
Cachet d'envoi
1892/02/06
Cachet réception
1892/02/07
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Paris le 6 fév 1892.
Je vous écris par retour du courrier Mon Cher Rassenfosse pour vous remercier d’abord de la bonne lettre que vous m’avez écrite, et Madame Rassenfosse de la part sympathique, dont j’ai été vivement touché, qu’elle a bien voulu prendre à ma peine. – Elle reste bien lourde à porter, et ce n’est que par le travail que je parviens à en éloigner l’obsession. – Puis je tiens à promptement écarter de votre esprit toute idée d’ennui relativement à l’incident Pincebourde. Laissez ce brave homme faire comme cela lui plaît, et si cela peut aider à la vente, j’en serai très heureux croyez‑le.
– Puisque Legrand et Storm de Gravesande se donnent ce titre, – si c’en est un ! – dans les catalogues d’Expositions d’eaux-fortes, pourquoi pourrais‑je trouver mauvais que vous le preniez ? Je ne vous dirai pas que « vous me ferez honneur » vous me ferez plaisir, ce qui vaut mieux. J’ai toujours préféré être aimé qu’honoré. Vous avez déja un talent très soutenable, et qui est plus qu’une promesse ; vous en aurez certainement et bientôt un très sérieux, si vous travaillez énergiquement, & vaillamment. – Ce jour là si vous vous dites encore mon élève, ce sera à moi, à en être reconnaissant mon Cher Rassenfosse, mon art sera probablement « devenu vieux » comme moi‑même, et le reflet de votre jeunesse ne fera pas mal sur mon nom vieilli.
– J’ai à répondre à vos deux dernières lettres et j’ai vis à vis de moi en vous écrivant les
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épreuves que vous m’avez envoyées. Étudions les un peu d’après vos notes :
Votre vernis n°5 nouveau me paraît donner un joli grain, assez fin, et n’être pas inférieur à l’ancien. Il me paraît aussi, comme vous le dites, donner un grain plus grenu, et plus distingué que son prédécesseur, mais es‑t‑il aussi solide ? Songez que, actuellement, c’est le n°5 ancien qui a été le vrai grain solide sur lequel nous opérons ; Et en vernis mou blanc, vernis de retouche aussi, la solidité est peut être la première qualité. La façon nouvelle dont vous préparez ce n°5 actuel, ne peut‑elle rien lui ôter de cette très précieuse qualité ? Il faudra pour le savoir soumettre de grosses morsures à des retouches et à de nouvelles grosses morsures comme vous avez fait pour l’ancien 5. C’est nécessaire.
Bref nous devons compter sur un bon n°5 pour tout faire. et même un très bon.
Votre n°7 est intéressant, et dans les travaux d’une certaine dimension il rendra certainement des services. Beaucoup de grain, et effectivement « assez lithographique ». Votre croquis de la « tête de femme » seul, a de la variété dans les travaux. – Le grain est un peu gros pour les chairs cependant.
Pour les autres vernis de recherche je ne peux guère en juger. Il faudrait en voir des résultats plus importants. Nul doute que vous n’arriviez à un résultat, en laissant de coté la solidité, le n°5 serait là pour des retouches.
Je vais peut être bientôt orienter nos recherches vers des horizons nouveaux, ce qui faciliterait le travail des vernis mous. Je ne vous en parlerai que lorsque je serai tout à fait sur la bonne voie, mais je ne cesserai de vous répéter d’être très prudent, et de bien garder – pour tous, – le secret de nos travaux. Ce que je viens de découvrir par hasard, du
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moins la genèse de la trouvaille vers laquelle je marche, est si élémentaire, que le vernis‑mou serait perdu et deviendrait une chose banale comme les procédés sur papiers Gillot si vous ne vous enfermez pas comme un ermite pour vos expériences !! Je vous écrirai déja des détails dans ma prochaine lettre. Du reste j’ai et je garde la parole que vous m’avez donnée du secret le plus absolu, vis à vis de Dewitte comme vis à vis des autres ; donc secret absolu. Je crois que nous allons faire faire un grand pas à la gravure au vernis mou ! – ne croyez pas que ce soit par quelque jalousie de métier que je vous parle ainsi, et que j’ai insisté sur cette question. C’est que j’ai vu d’excellentes choses périr par leur banalité. Rara Juvant ! Les choses rares nous réjouissent. Je crois que dans notre lutte héroïque corps à corps avec le vernis‑mou, celui ci va recevoir un fort croc en jambe. À bientôt donc de bonnes nouvelles je l’espère.
Je vous serre bien affectueusement la main.
Félicien Rops
Pour le rouleau je vais m’informer d’une bonne adresse. Il y a plusieurs fabricants ici. Le meilleur Prévost qui « travaillait en chambre comme un ouvrier est mort de l’influenza cet hiver. C’est lui qui m’avait vendu le petit rouleau. Il faisait des rouleaux qui auraient roulé du macadam. Des chefs d’œuvres. Tout Paris est là : un homme dans un grenier, qui ne fait qu’une chose : idéalement bien. Il n’y a qu’un homme qui fasse des pointes d’ivoire ici, c’est bien simple une pointe d’ivoire ! un seul ! Les Commissionnaires en marchandises savent tous ces noms de « fèvres » inconnus.
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Vous savez : qu’un rouleau sans défaut vaut seul un long poème ! c’est Boileau qui l’a dit.
À propos : on met bien le N°5 neuf comme l’ancien n’est ce pas ?
Il faut que j’écrive à Morreels. Je suis honteux de ma négligence, très coupable, à son égard. Mais je vais réparer tout cela. Il a été tout à fait aimable pour moi, et je le lui ai très peu rendu. Les circonstances ont été très contraires à mes projets. C’est un garçon bien curieux et surtout d’une « extrême ingéniosité ». Il a créé un art entre la photographie et le dessin d’une « artisanerie élevée » qui confine à l’art vrai, mais qui n’en est pas cependant. Il a le génie de l’habilité et de la comprehension aidé par les ressources modernes. ajoutez à cela une adresse de main extraordinaire et vous obtenez une personnalité réelle. Un autre homme ne le remplacerait pas. Je n’oserais, comme je le sais chargé de famille, et fantaisiste par dessus le marché, lui conseiller de venir ici, mais je crois qu’il s’en tirerait !
voici un Post‑Scriptum qui est long comme une lettre ! Il me semble que j’ai encore bien des choses à vous dire ce sera pour après demain, car après j’aurai j’espère quelque résultat à peu près probant, si les choses marchent bien.
À bientôt
F.R
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Crème.
Dimensions
176 x 228 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR