Numéro d'édition: 1858
Lettre de Félicien Rops à [Henri Liesse]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Henri Liesse
Lieu de rédaction
s.l.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/2927/120
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
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Jeudi
Mon Cher Vieux,
Tu comprends que si j’ai changé d’avis quant à Messager, ce n’est pas « l’opinion de de Roddaz » qui m’en eût fait changer. Mais de Roddaz n’était pas seul !! Il y avait là un groupe de faiseurs de machines théatrales qui étaient « de son avis » ! & je dois avouer que leur avis était plein de bonnes raisons. –
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Il y a dix ans que tu n’as rien publié, & qu’on ne sait plus que tu existes. Il n’y a pas de phrases à faire là dessus ni à invoquer Coquardeau. Coquardeau n’a rien à faire, ni Monselet, ni Gavarni en cette affaire. J’ai raison en tout. Quand tu es parti pour Chooz, je t’ai dit ce qui arriverait, je t’ai même dit : dans deux ans ton livre ne sera pas fini. – Tu est parti en 1885 & nous sommes en 1888. Voilà près de trois ans ! Et trois années de la quarantaine ! Car tu as beau dire que tu n’es pas vieux. On est vieux à quarante ans. Demande aux Jeunes ! « Maupassant est vieux déja, me disait Ajalbert, l’autre soir » il a quarante ans bientôt ! Je sais bien toutes les vieilles blagues que nous faisons pour nous consoler ; cela ne tient pas devant ce fait. On n’est pas sénile, & on n’est plus jeune. On est très mûr !! Ce n’est pas une question de santé, c’est une question de dates !! Et à Chooz, ton fameux livre devait etre fait « pour l’automne !! » Elles sont loin les feuilles jaunes de cet automne ! – Tout cela est grotesque. Du reste quand quelqu’un attache une importance exagérée à ce qu’il fait, cela arrive toujours ! Ah ! en ai-je sacrifié des plans, & des tableaux d’histoire, & des « grandes idées ! » & des « trouvailles ! » & des « pages ! » & des planches de cuivres à gloire future ! Les Constipés me font pitié, & j’invoque Diafoirus. Il y a cinq cents couveurs de copie comme toi à Paris, & piqueurs de notes & du reste, & couvant toujours leurs œufs de marbre ! Quant on est dans ta position, on finit un livre, fut ce un chef d’œuvre en 8 jours & 8 nuits ! J’ai passé par là. J’ai eu en juillet 1882 : huit mille francs à payer ! En deux mois, (j’ai commencé en mai), au milieu de tracas sans nombre, j’ai fait culbuter mes cartons, & allez donc ! les grands projets & les chefs d’œuvre en rêves, & rêvés !! Je dormais une nuit sur deux, & mes dessins se vendaient 25 frs ! – les beaux !!!. Voilà ce que l’on fait quand on a des couilles au cul ! Mais tout est là : Être couillard ou ne l’être pas ! – Finis ton roman & qu’il finisse !!! Tu as donc bien « du respect pour ces choses là ?!!
Et tu viens me parler de « sympathie » – grand serin ! – On doit se foutre des
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sympathies banales. Les sympathies tu les as depuis longtemps chez tes amis, – ceux qui comme moi espèrent encore en ton talent, & en désespèrent aussi !
Mon vieux, je ne te parlerai plus de tout cela, & je ne t’en aurais pas parlé, si ne venais pas encore rabâcher de ce bouquin imbécile qui t’a mangé ta vie.
Tu rejettes tout sur tes misères voulues & méritées, car lorsqu’on possède pour deux sous ½ de talent, on est impardonnable de se laisser aller à la côte, dans ces prix là ! – Dis tout ce que tu veux, on jette les chefs d’œuvre par dessus bord & on vit ! C’est cela qui est le vrai !!
J’aurais fait la Descente de croix de Rubens que plutôt que de baver sur une œuvre de cette façon, – je la découperais en descentes de lit – mais j’en vivrais !! Si je te racontais par où j’ai
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passé !! – Tu y as passé aussi par des jours de misère, – mais pas avec les complications que j’avais ! – Je n’en ai pas perdu le sourire, mais quels efforts ! – Que veux-tu ? il n’y a pas à s’en vouloir ! Tu apportais la même veulerie anti-couillarde avec ta femme ! & tu trouvais tout naturel, qu’elle chante au piano des âneries quand tu piochais. Nom de Dieu ! où donc fichais-t on les cannes dans ta maison !
Mon Vieux tout cela ne me regarde pas, mais ne vois dans mes dires que la vraie & vive amitié que j’ai pour toi !
Et quelques jours de couille voyons ?!! Et que ce roman qui fait se foutre de toi par tous, se termine !!! C’est le pain assuré, & la liberté ! Ou fous le chef d’œuvre dans les lieux, & fais en qui ne vaudra rien du tout, se vendra & te fasse vivre.
C’est celui là qu’il fallait faire d’abord !!!
À toi
Fély
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Et c’est tout : n’en parlons plus !!
Donc fin de la Semaine prochaine tu recevras les croquis, ou j’irai les porter moi-même sans faute !
Et ne parlons plus du bouquin. cela me fâche pour de bon cette insouciance & cet aveuglement !
Heureusement que ton livre lui même te guérira de la Gloire !
F
Mais l’article de Waller est très
Vivons d’abord – Soyons glorieux après, mettons dans le potage les premières feuilles de Laurier !
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5 pages, Lisse, Crème.
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KBR