Numéro d'édition: 2134
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
Paris
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6714/28
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
1884?
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Paris –
En steeple chase !!
Mon Cher Vieux
Excuse moi, c’est moi qui me suis trompé en t’engageant à venir à Paris, je te croyais un autre tempérament, voilà tout « N’en parlons plus » tu as raison. Tu dois rester à Bruxelles étant donnée ta nature heureusement philosophe. Du moment où tu te trouves heureux, reste ! Je te croyais le désir de donner comme tout artiste ce que je te croyais au ventre.
Du moment où tu crois que tu seras heureux « avec quelques distractions extérieures ». Je te retrouverai le même dans dix ans ayant donné – peut être – un second volume à ton guide, & rien plus sois en certain. Tu auras encore, de tes contemporains vieillis, l’estime qu’ils portent au nom de Jean d’Ardenne & quant aux Belges jeunes, ils se ficheront de toi, comme nous nous fichons de Th. Juste !
Tu comprends, mon vieux, que je ne veux pas passer à l’état de scie. Tu me prouveras demain matin, que tu as parfaitement raison de rester à Bruxelles, comme tu me prouvais, en sortant du Gymnase, que ton devoir absolu vis a vis de toi-même était d’en sortir de Bruxelles & que si tu y restais un quart d’heure de plus tu étais fichu ! – En cela tu touchais au vrai. Tu me prouvais que tu avais parfaitement raison
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d’épouser Mlle Popp, puis tu m’as prouvé que tu avais raison de ne pas l’épouser. Je ne suis pas encore de ton avis – quand même toi, & quand même Edmond, qui ne m’a donné contre ce mariage que des raisons absolument nulles & tellement réfutables qu’en deux mots on les fiche par terre. Quant on est un homme & non pas un gamin on peut toujours se charger de la vie d’une fillette qui vous aime. Il n’y en a pas tant que ça ! Edmond voit les choses très faussement. Pas un argument sérieux & solide. Cela ne lui plaisait pas voilà ce qui est le plus simple à tirer de ses objections, qui s’écroulent comme un chateau de cartes dès qu’on souffle dessus.
Je passais à Bruxelles pour un vieux gamin & un raté, & il m’a fallu l’effort énorme que j’ai fait ici & la production de cent planches de cuivre pour me l’ôter. Tu as pris ma place la bàs & il n’y a qu’une voix sur ton compte. Note que j’ai vu tout le monde depuis le 1er mai ! En passant par Picard, les Maus, les Robert, les peintres & les écrivains Belges : Tous, une seule opinion : vieux serin, raté. Ce qu’on disait de moi ! – Exactement. Et on le disait justement, car c’était
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Voilà onze ans !! que tu perds ta vie. Onze ans ! – Tu vas me dire que tu te fous des Belges & que tu n’as pas d’ambition. – Si tu n’en a pas, pourquoi tous tes projets & toutes tes résolutions Parisiennes ?? Il y a d’autres femmes ici que Marie Bonvalot ! il faut le voir & les chercher. Je crois positivement que ta cervelle se détraque. – Tout le monde produit mon vieux, & toi voilà onze ans que tu ne produis que des articles de journaux, dans lesquels il y a de bonnes choses dites dans une cave peuplée de sourds !!
C’est bien la dernière fois que je te dis tout cela ! mais je veux te les dire parceque ce n’est pas le dire d’imbéciles que je répète & cela m’embête de te voir tourner à ma facon, en Belgique : En vieux serin raté. & j’y tournais comme toi !!
– Car ces coursailleries de côté & d’autres, agréables au point de vue de « la balade » ne peuvent rien produire de sérieux & n’ont rien produit. Ici, tu trouverais & tu aurais trouvé le long voyage, chez Charton ou autre part, fait à tête & à pieds reposés, avec de l’argent. J’ai fait de ces petits voyages, & en les prolongeant plus que tu ne le fais & je sais ce qu’on en retire ! Tu n’en as rien fait & tu n’en feras rien que les articles que tu as faits. Temps perdu pour l’Art. Utile à l’archéologie, – et encore ! – & agréable aux yeux voilà tout.
Tu veux donc mourir Jean d’Ardenne !! As-tu fait un progrès depuis onze ans !! Non ! Tu ne connais plus les gens de ton temps, les gens d’ici & tu es aussi inconnu d’eux
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que si tu t’appelais Van Cruyssen !! – J’amais je n’ai vu d’aveuglement pareil au tien. – Dès que tu te buttes a un obstacle le plus petit – tes yeux te font voir ce qui te plait, – & non pas ce qui est là sous leur objectif !! – La moindre difficulté matérielle te fait fuir comme un rat. – Je commence à croire & c’est là ce qui me navre & c’est là ce qui me « colère » ! que tu es fait pour la vie que tu mènes. – Passer à la Chronique, faire de coté & d’autre des articles qu’on ne lit pas, prendre tes jambières & courir de coté & d’autre. Voilà tout. Eh bien merde alors – comme dit Zola ! – J’aurais voulu te voir à ma place & tomber avec onze francs dans un atelier de 1800 fr rue du Bac ; avec l’habitude d’en dépenser 15.000 par an ! Mais Nom de Dieu ! on a des nerfs & je m’en suis tiré à la pointe du crayon ! Je crois que tu prends pour des nerfs l’agitation qui s’empare au mois d’avril des alouettes en cage & qui leur fait donner de la tête contre les barreaux. Les Kilomètres abattent ces nerfs là, – mais le résultat artistique ! Car il n’y a que cela à voir : & à chercher la résultante d’art ! Ou on est un simple imbécile, & un sot d’esprit, la plus triste espèce de sots. Or tu le disais et tu le sens toi-même tu es au bout de ton rouleau belge, tu commences la période descendante & il y a onze ans que tu es stationnaire. Quand on ne gagne pas, on perd. Et ajoute que le métier d’articulier que tu fais n’est pas fait pour te faire progresser !
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Note bien que tout le monde est de mon avis excepté Edmond, – lui c’est pis : il croit fermement que tu es né pour cette vie de con, satisfait de t’entendre appelé Mr Jean d’Ardenne à Soignies, satisfait de tes petites fugues & ne demandant rien autre à la vie.
Peut être a-t-il raison, & j’y incline en te voyant cette veulerie dans la vie, une veulerie sans nom !!! & ce qui est plus triste dont tu n’as plus conscience !
Moi je voulais
Et tu crois que tu es actif !! Il y a de l’écureuil dans ton cas. Quant il a fait trois mille tours
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dans son moulin, ses nerfs sont calmes & il croit qu’il a « travaillé » - C’est embêtant ma lettre c’est aussi embêtant de l’écrire va ! Mais ceci est la vérité vraie et pas celle que tu me développeras demain, en me prouvant par A + B que tu as raison de faire ce que tu fais, comme tu me prouvais par B + C que tu avais raison de faire ce que tu voulais ! et tu
À toi Vieux, même quand tu seras gâteux
Fély
Détails
Support
2 feuillets, 6 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR