Numéro d'édition: 2205
Lettre de Félicien Rops à [Armand Gouzien]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23

Destinataire
Armand Gouzien
1839/02/04 - 1892/08/14
Lieu de rédaction
Heyst, Hôtel des Bains
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6958/57
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Heÿst sur mer
Hôtel des Bains. (Flandre occidentale Belgique)
Mon Cher Vieux
Voilà bien longtemps que je dois t’écrire ! & je remettais toujours comptant partir pour Paris d’un jour à l’autre.
Il faut que en me faisant obtenir une passe jusqu’à Paris-frontière aller & retour tu aides à me rapatrier mon vieux frérot sans cela la France va compter un Français de moins ! Je suis à sec comme les phoques que je vois d’ici échoués sur les bancs de sable !!
Et la chose est grave ! car il s’agit de Clairette. Je veux la mettre en pension à Douvres. J’ai échangé une foule de longues lettres avec le Consul français de là bas, car comme je suis décidé à me faire naturaliser, je me déclare français & je reprends ma nationalité. Je te dirai tout à l’heure pourquoi. Le pensionnat est choisi, on m’attend avec ma fillette. Tu sais comme je soigne l’éducation de la mignonne, je fais pour cela de grands Sacrifices, mais je considère cela comme un devoir primordial. Seulement tout cela coûte très cher & pour le moment
Page 1 Verso : 2
une somme de Cent francs compte pour moi. Il faut que j’aille à Paris pour que Claire fasse ses adieux à tout le monde, essaie son petit trousseau, cela fait « un retour » pour moi, je paie le voyage de Clairette d’ici à Paris. De Paris je reviens m’embarquer avec elle à Ostende, – (d’Ostende cela ne me coûte rien, les officiers de la marine de l’État sont tous mes amis) cela me fait un aller. Je redeviendrai en troisième n’importe comment. – Donc si tu m’obtiens une passe aller & retour de Paris à la frontière, tu me rendras un vrai service, Mon Vieux.
Je suis venu ici dans ce coin de Heyst désert maintenant, & balayé comme un ponton par les vents d’ouest & du N.O et de N.N.O. et d’Est et de N.E. et de N.N.E. ! pour habituer Clairon à l’air de la mer, & lui donner deux ou trois semaines de bon plein air avant de l’enfermer dans son pensionnat de Douvres. C’était nécessaire.
J’ai débuté ici par une dispute avec Verwéequi a failli aller jusqu’aux giffles à propos d’un mot – mal compris par moi (à ce qu’il paraît,) contre la France. Tu sais que si je « blague » quelquefois Paris entre nous, je suis Chauvin hors de France. J’ai dit net à Verwée en pleine table d’hôte : lorsqu’on dit « des mots comme ceux que vous venez de dire on a la pudeur d’ôter son ruban de la Légion d’honneur, on le met dans sa poche avec l’argent qu’il vous a fait gagner surtout ! quand on a léché des bottes françaises pour l’obtenir ! » – Tu vois d’ici l’effet !
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provocation, tapage etc etc. On a arrangé le lendemain l’affaire en me prouvant (?) que j’avais « mal compris » le mot de Verwée & il y a eu réconciliation.
Le lendemain – pas de chance ! – même scène avec un Juif de Cologne à qui j’ai eu la gracieuseté de dire : Monsieur, sans la « Révolution française, vous seriez pour le moment coiffé d’un bonnet jaune et vous ne mangeriez pas cette sole frite en notre belle compagnie. Vous seriez au fond d’un ghetto occupé à limer votre chaîne de montre. »
Textuel !! Dom en crevait !
Tu vous que cela allait bien !
Le Juif n’a pas bougé, – mais il ne faudrait pas qu’il ne me plaise pas payer un billet fin courant à son ordre !!
Il m’en cuirait !
Que veux-tu ? J’étais surexcité par ces Animaux qui préparaient leur fête de Sedan, que j’ai fait rater à moi tout seul !! – Je suis allé trouver le bourguemestre que je connais, je lui ai parlé de l’avenir de la commune de Heyst, de la lettre que j’écrirais dans la Chronique pour flétrir sa conduite etc etc etc etc. finalement il a affiché un arrêté du Conseil Communal par lequel il était expressément défendu de manifester (« manifessetèye ! ») sur les voies & chemins. de tirer des pétards & autres feux d’artifices et de chanter n’importe quoi. De sorte que le 2 septembre ces cochons là ont dû s’enfermer dans des « salles à manger » pour beugler à leur aise.
Le lendemain un Bruxellois m’a dit : quest ce que cela vous fait vous n’êtes pas Français. Je lui ai répondu : Vous vous trompez je demande la naturalisation. – Voilà !
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Somme toute c’est toi qui en profites : Verwée étant redevenu gentil, j’en ai « profitéye » pour lui parler de ton tableau & il m’a promis que en repassant par Bruxelles en octobre j’irais le prendre chez lui en faisant un dîner de réconciliation. –
Embrasse ta chère fillette & fais à ta femme mes bons compliments.
J’ai beaucoup travaillé à travers tout.
Ton vieux
Fély
Réponds vite
Au Nord
On donne des passes pour Paris-frontière quand on les demande. Ces passes me permettraient pour aller
Le plus vite possible Mon Vieux !!!
Demande les à ton nom, pas au mien la passe.
N.B Il y a des choses que nous règlerons là bas à mon retour.
Ton F
Si tu n’as pas une passe frontière demande une passe pour Lille-frontière.
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Lisse, Crème.
Dimensions
154 x 208 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR