Page 1 Recto : 1
Mon cher Camille,
… Je pars pour Monaco, j’en reviendrai avec les hirondelles. Je vais retrouver mes chers oliviers et mes chères oliviérades.
(Ici un bouquet d »oliviers.)
C’est la cueillette.
Les grandes filles brunes d’Ezzya et de la Turbie se courbent à cette heure et ramassent les olives violettes dans les touffes d’arums, - Arum italicum ! (Aroidées, Linn.) Les asters bleus m’attendent sur les pentes de l’Estérel pour fleurir ! Je ne peux manquer à ces solennités ! – Je vais achever ton Bouvier wallon et te l’expédier. Vrai, il est sinistre et me fait froid, à moi, son père [non transcrit] ! Il y a à l’avant-plan une grande diablesse de fille que je retrancherai peut-être.
A propos, tu peux me faire le plaisir d’annoncer à mes compatriotes que « le bon éditeur Alphonse Lemerre » vient de me confier les illustrations d’un Alfred de Musset complet, 10 volumes, 40 eaux-fortes. Entre nos, mes prix ont été les siens, il a fait largement les choses et je suis à cette minute « ci » le dessinateur le plus payé de Paris. Puisque le public attache du prix à ces misérables questions d’argent, il faut bien se tenir raide et ne pas plus baisser ses prix qu’un commis des Magasins du Louvre.
Enfin malgré la petitesse du format, je vais tâcher de donner un croc en jambe au père. Cette ambition est d’une belle âme.
Après cela, nous faisons les drames de Victor Hugo in-quarto et « Le beau Pécopin et la belle Bauldour » à part et autre fort volume très-intéressant dont je ne peux encore te dire le titre.
Je te réserve des états merveilleux de ces cuivreries. J’ai pour toi, un « Affuteur » que je vins de faire paraître dans l’album Cadart et une copie de Millet que j’ai faite pour honorer autant qu’il est en mon pouvoir ; la mémoire de ce vrai grand peintre.
Cela paraîtra dans un gros volume que publie une espèce de mauvais auteur francoys qui s’appelle [non transcrit].
Bien à toi et à bientôt,
F.
P.S. Je n’ai pas quitté la Belgique absolument. Que veux-tu ? J’ai des racines de Flamand, au fond. Je garde un atelier à Bruxelles.
Commentaire de collaboration
Lettre publiée dans par Camille Lemonnier dans L’Art universel du 15 mars 1876 (quatrième année, n°2, p. 18-19). L'auteur fait état d'un dessin sur la lettre et le décrit en ces mots : « Un joli bout d’eau-forte, estampé dans la haut de la feuille – une vraie feuille de délicat, roussâtre et pelucheuse – montrait la joie profonde et l’inaltérable attention d’un singe, assis devant un paravent et en train de dessiner… Le paravent ? Non pas ; mais la gentille femme dont la robe, à demi-troussée sur un bas de jambe fuselé, se fait voir dans la pénombre. A cheval sur le paravent, un amour potelé agite un flambeau à la flamme duquel viennent se rôtir quelques huit ou dix papillons – symbole cuisant, assurément, et dont notre ami a tiré un parti charmant ; - car, est-il besoin de le dire, l’eau-forte est de Rops. »