Numéro d'édition: 0162
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié
N° d'inventaire
LEpr/221
Collationnage
Autographe
Date de fin
2024/12/22
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops, Province de Namur
Apostille
1872
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Mon Cher Léon
J’allais justement, au moment où j’ai reçu ta lettre écrire à Gouzien de ne pas te laisser trop seul ; qu’il n’était pas sain pour toi de rester seul, loin de tes amis dans la passe difficile que tu étais, à tes grands risques & périls, en train de franchir.
Je suis heureux d’apprendre que « tout est rompu », je crois que tu as une fière chance, voilà ma simple opinion sur la situation.
Tu es superbe mon pauvre vieux, ma parole d’honneur, de t’étonner de ce que l’on a dit, de ce que l’on dit & de ce que l’on dira. – Comment ! Tu enlèves – ou à peu près la femme Stany, – ne récrimines pas : « tu l’enlèves » – c’était un vrai secret de Polichinelle, tu te promènes à Paris partout avec elle, dix Bruxellois vous rencontrent au théatre, au café, que sais-je ? – partout ; – Elle revient à Bruxelles se montrer à la senestre de Stany & se retrimballer dans les caboulos ; – Stany va à Paris & vous êtes de nouveau rencontrés vous baladant à trois. Voilà tout. Et quelles conclusions veux-tu qu’en tirent les bonnes âmes qui adorent venimer ? – Que veux-tu qu’on réponde à ceci : Tiens, j’ai rencontré Dommartin avec Stany & Mélanie à Paris, en voilà un drôle de ménage à trois ! – &&. – Comme tu le
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dis fort bien on ne trouve jamais les lâches qui répandent des bruits canailles, – ils sont aussi insaisissables que la formule même de ces bruits, mais de même que les bruits existent, ils existent certainement ; seulement cela se dérobe sous « l’on dit » le « j’ai entendu dire » le « savez vous » le « il parait.. » & toutes les phrases à l’aide desquelles on peut tout dire & tout se permettre sans danger.
La conduite de Mélanie a été aussi niaise que la tienne, – & nous développerons tout cela en temps & lieu. – Il n’y a que Stany qui a été bien dans son rôle : il a continué à semer à tort & à travers des mensonges homériques qui faisaient tourner la tête des gens, déifiant sa femme aujourd’hui, la trainant le lendemain dans la boue, se contredisant toutes les demi heures, & accumulant tant de bourdes, qu’il finissait par faire perdre la piste aux curieux.
Maintenant ne t’alarmes pas ; – si tout est réellement fini, – avec toi on ne sait jamais où la femme te mênes, – il suffira de quelques bonnes affirmations & de quelques bons démentis bien nets pour faire tomber tout cela.
C’est à ta conduite future, Cher Léon, que tu devras de pouvoir réparer tout cela, – & c’est très grave, la situation devenait pénible pour toi, – & pour ceux qui continuaient à t’aimer.
Tu me ferais sauter au plafond comme Bilboquet quand tu continues à écrire des âneries comme
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celle-ci : « Je me trouvais dans la position d’un Mr qui serait l’amant d’une femme mariée ou d’une femme ayant un amant » !
Non – Sacredié ! ce n’est pas cela ! & c’est ce que je me tues à te crier depuis six mois, tu te trouves dans la position d’un homme qui serait l’amant de la maîtresse d’un voleur, laquelle maîtresse aurait engagé le voleur à voler dans le simple but de dépenser 25,000 frs par an pendant huit ans – Voilà. –
Cela n’est pas vrai ! vas-tu me dire : Je le crois aussi que cela n’est pas vrai (non pas que Stany ne soit un voleur mais que Mélanie ait trempé sciemment dans la chose), mais est ce que les apparences – qui ont toujours droit pour la foule ne sont pas contre elle ? – Et Hallaux lui même n’a pas été exempt des éclaboussures de toute cette boue dans laquelle je me reprocherai toujours d’avoir mis le bout de l’orteil ; – ni même moi ! et c’était justice on ne se promène pas avec la femme Stany & son homme dans les cafés quand on est « nous » que diable !!
Il y a vingt personnes qui sont parfaitement au courant de l’affaire Zaman-Stany & des gens très honorables qui arrangent cet ignoble gredin de la façon la plus nette. Je suis édifié la dessus.
– Donc : voleur & voleur connu de tout Bruxelles, il ne faut pas nous mâcher les mots !
– Donc : maîtresse de voleur. – entretenue depuis dix ans à l’aide de vols puisque Stany gagnait quelque chose comme 1,600 frs par an.
– Donc : toi – cela aurait pu être moi, – mais j’ai une étoile (étoile filante !), amant de la maitresse de ce voleur, – ne nous mâchons pas les mots, – & tu veux que le public chante ton épithalame en
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dansant en rond autour de vous trois & te jette des couronnes de roses !!
– Que tu gardes tes bonnes petites illusions sur Mélanie, tant mieux, cela ne nuit pas & cela console, je ne te les oterai pas même si cela te réjouit, mais moi : je la considère comme la reine des toquées, « plus folle que coupable » & ainsi je lui fais bon poids je t’assure ; mais je t’assure aussi que tu viens de te sauver un rude coup de toutes les misères & de toutes les hontes qui peuvent accabler un homme & tu peux féliciter le ciel ou plutôt te féliciter toi-même d’avoir échappé à temps et d’être enfin sorti de cet égout collecteur dans lequel tu avais eu la fichue idée d’aller faire tes parties fines.
Et toujours ta raison : Je l’aimais ! et Quand cela t’arrivera, crois-moi : fourre ton amour dans le fond de ta malle, tes chemises & tes faux cols par dessus & file pour Blankenberghe dans le but d’y pêcher des crabes, – cela te coutera cent francs & le deuxième jour tu trouveras que cela n’est pas trop cher.
Cela vient encore de m’arriver, à moi : (Je sais bien : je ne sais pas aimer !) – Quand je me sens pincé & on est toujours pincé ! – Je vais pêcher des crabes ! – « Ce crustacé à cuirasse calcaire vous inspire des idées de résistance & cela réussit. – Seulement on arrive à pêcher des crabes avec des petites filles blondes qui appellent : Gouzien « mon frère » & qui chantent bonjour Suzon. – alors c’est à recommencer : il faut retourner à la Meuse pêcher des écrevisses ! – Allons Vieille bête, tiens toi debout embrasse moi & que tout cela finisse.
Ton vieux Fély
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Lisse, Crème.
Dimensions
213 x 274 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
musée Félicien Rops (Province de Namur)