Lettre de Félicien Rops à [Léon Dewez Dewèse]

Page 1 Recto : 1

Je vous envoie les trois dessins pour la garantie de MrLemerre, j’espère qu’il consentira à ce petit arrangement qui me donnera la liberté du travail jusqu’au mois de juillet. C’est parce qu’un marchand de tableaux a reculé un payement qu’il devait me faire dans la dernière quinzaine de ce mois que je me trouve pris au dépourvu. Comme je vous l’ai dit hier, je peux gagner beaucoup d’argent avec les marchands de tableaux anglais & français, mais j’ai la faiblesse « du livre » Cela rapporte peu, mais cela se voit. Je suis né père, & ce Monsieur qui emporte sous son bras le fruit d’un travail de plusieurs mois, le fils de vos nerfs & de votre tête, pour aller le vendre à un Yankee ou a un Australien me déplait infiniment. Si Lemerre veut, je m’attacherai

Page 1 Verso : 2

à sa maison, je ne trouverai pas autre part la liberté qu’on laisse à la conception de l’artiste, & aucun éditeur ne respecte plus que lui l’indépendance de l’œuvre. Puis il est artiste lui-même, fait de belles choses, j’espère en faire avec sa collaboration. Cela me répugne de produire pour des imbéciles qui ne savent pas leur métier. Il y a huit jours qu’un grand éditeur de Paris me disait : Je ne vous comprends pas, – que voulez vous, je suis un « bourgeois » moi. – Dans ce cas j’aime mieux le marchand de tableaux de Piccadily-Circus, être ramené aux Yankees & aux bêtes simples.

Je suis un grand travailleur, vous avez vu comme je suis installé, je n’ai plus rien de la légèreté & du décousu dans la vie qui m’empêchaient de produire sérieusement, j’offre donc à MrLemerre toutes les garanties désirables. Enfin je lui envoie pour 2,500 francs de dessins. – Je suis heureux d’ailleurs de lui montrer ces aquarelles-dessins, afin qu’il juge quel sérieux & quel caractère j’espère apporter dans les dessins de la Bible qui succéderont aux Châtiments. Je désire qu’il montre ces dessins aux artistes qui fréquentent sa maison & à Rajon entr’autres, que je n’ai pas le plaisir de connaître mais dont j’estime le talent & à Braquemond

Page 1 Verso : 3

qui restera l’un des meilleurs graveurs du temps. – Je vous envoie avec les trois dessins-aquarelles encadrés. Le frontispice du Roman d’une Nuit. J’avais fait il y a longtemps, à Mendès la promesse de lui faire un frontispice pour le Roman d’une Nuit lorsqu’il le rééditerait. C’est fait, c’est une dette payée. – Je ferai reprendre ce dessin à deux heures. Je tiens aussi à ce que Lemerre puisse le voir, car il servirait « de canon » pour le soin que je veux apporter aux dessins des Châtiments. Cela n’est pas à dédaigner, car cela donne à un dessin une valeur marchande, chez le marchand de tableaux, que n’ont pas les dessins négligés. Quand Lemerre voudra revendre ses dessins je lui enverrai le marchand.