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Je reçois les programmes & l’invitation du Cercle Artistique de Namur. Je compte y exposer un tableau & des dessins – Dis moi si j’ai chance de vendre quelque chose 500 francs par exemple pour un grand dessin, ou un tableau de 800 frs, sans cela je ne tiens pas & tu concevras pourquoi à faire pour trois ou quatre cents frs de frais d’envoi & d’encadrements si je ne peux arriver à gagner quelque menue monnaie. Ici mes dessins se placent assez bien & il faut Mon pauvre Vieux que chaque mois me rapporte. Ma peinture est trouvée très distinguée & même forte mais « mes sujets » ne plaisent ni en paysage ni en figure, on me trouve « trop peintre ». Et cela se conçoit dans un pays où tout le monde aime les Compositions très travaillées où tout le monde les aime & où on aime la peinture peu chargée d’empâtements & très finie. Le temps des Daubigny, des Millet des Courbet est bien passé va ! C’est le temps de Vibert, de Berne Bellacourt,
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– des Neuville des Detaille des Leloir, un tas de gens qui sont spirituels & amusants & adroits de leurs pattes mais qui font de la fichue peinture dans le sens absolu du mot. Il n’y a plus que deuxbons peintres à Paris : Vollon & Daubigny comme peintresIl y aura peut être à espérer beaucoup d’un mouvement de peinture bizarre qui commence maintenant sous le nom d’École des Impressionnistes & a pour caractéristique une peinture claire dans le genre de celle qu’on fait beaucoup maintenant en Belgique mais plus heurtée plus enlevée. C’est plein de choses grotesques mais il y a là trois bonshommes Caillebotte & Degas & Monet – (pas Manet) qui sont d’une jolie force & très artistes. –
Réponds moi je te prie. & ne suit pas tes habitudes de silence absolu que tu as inaugurées ou plutôt exagerées à mon égard.
Nous causerons du reste ensemble, bientôt, au mois de mai, de cette affaire Carlier – dans laquelle maintenant Carlier a reconnu devant des preuves irréfutables, renversantes, tous les torts qu’il avait eus mais il reste des points obscurs & certains propos restent devoir être ou dis ou non dis & il faut que quelque lumière soit jetée sur ces dires.
Génissieux es-t-il encore à Namur ?
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Comment va sa femme fais lui mes amitiés je te prie ainsi qu’aux amis – pas à beaucoup ! Il ne m’en reste guère. Quand tu auras l’occasion de parler au président d’honneur Albert de Beauffort de me rappeler à son souvenir. C’est un homme artiste et littéraire.
Réponds je te prie –
Je te serre la main & je t’embrasse de ma vieille amitié que l’éloignement & les non-réponses épistolaires n’affaiblissent pas.
Ton vieux
Fély
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Je fais maintenant des dessins de couleur avec des pastels qui sont très bizarres & ont ici un vrai grand succès d’artiste.
Deux La Lecture du grimoire
et le Rydeak sont des machines fantastiques. – achetées par un riche amateur Monsieur Royer qui a collectioné l’œuvre de Rops, collection que je voudrais bien avoir. – Sais-tu que j’ai une œuvre comptant 682 pièces ! – Et l’on dit que je suis un paresseux !
Six cents & quatre vingt deux pièces ! et moi je n’en ai pas dix.
Réponds moi vite sur la demande du Commencement de ma lettre & donne moi l’adresse de Maës le photographe d’Anvers, je voudrais avoir encore des buveuses d’absinthe
À propos : lorsque j’ai des dessins peu pressés, à photographier peux-je te les envoyer ? Comment envoie-t-on ces machines là pour qu’on ne les abrutissent pas à la frontière ??
Lettre tout à fait personnelle.