Numéro d'édition: 1093
Lettre de Félicien Rops à [Octave Uzanne]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Octave Uzanne
Lieu de rédaction
s.l.
Date
1891/10/26
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
III/1802/8
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Lundi 26 oct 1891.
Mon Cher Octave ta bonne lettre m’a fait grand bien et a été pour moi comme une bonne poignée de main in extremis. Je suis mieux, j’avais dans une lettre exprimé toute ma pensée a Aurélie & à Léon. Elles sont venues et ont eu de bonnes paroles qui ramèneront je l’espère le calme en mon esprit. Je me suis remis à espérer, du reste, j’ai remarqué qu’aux heures même de désespérance on espère toujours, ce qui est humain ; et Boulanger faisant des projets très sérieux trois jours avant sa mort est dans le vrai. On ne disparait pas pour « une chose » mais pour « un ensemble », par lassitude morale, par dignité personnelle, & par haine des hasards de la vie qui chez les « Sensibles » (moi mauvais soldat ! comme Fritz.) sont si dangereux, où l’on risque de faire des choses que l’on ne veut, que l’on ne doit pas faire, & où l’on sent que les éternelles faiblesses humaines peuvent plus tard, trop tard vous entraîner. – Il y a une certaine noblesse à partir les mains nettes, à un âge mûr. mais j’ai en horreur la mort volontaire que tout le monde sait, même vos amis intimes ; un seul doit le savoir, parce qu’on laisse toujours derrière soit des intérets dont peuvent pâtir ceux qui vous sont chers, et puis parce que l’on aime à s’en aller avec une bonne poignée de main dont on sait la loyauté. – On souffre moins moralement que
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je ne l’eusse cru, une fois la résolution du fait inévitable fermement assise. On souffre surtout « par tendresse » pour les femmes & les enfants qu’on laisse dans la vie, pour les bonheurs étrangers à vous qui viendront forcément se plaçer entre elles et votre souvenir, dont le temps fera disparaître les traits, cet effaçeur de portraits, ce pâlisseur de photographies ! – Puis une autre souffrance : Ne pas pouvoir « réparer» et donner encore quelque bonheur à celles qui vous ont donné leur vie. On a là le poids de la dette, on sent quelque chose, moi je l’ai senti, de la déloyauté du failli, & que partir d’une mort légère en laissant au milieu du chemin le faix de toute vie, n’est peut être pas si héroïque et si honnête qu’on l’a cru d’abord, et que le devoir serait peut être de souffrir et de réparer. – Mais elles ne voulaient pas même « de la réparation ! » C’était : elles loin de moi, la vie « artiste française » dont j’ai la haine & le dégout, traînée sans utilité pour le foyer dont j’étais proscrit, ce doux foyer où je m’étais assis de si longues années en répétant les paroles d’Harriri, le poète arabe : « Heureux celui qui le soir venu, s’assied au milieu des Siens ! » L’idée que : dans les boueuses et noires soirées de Paris cet hiver, je passerais rue de Grammont et je verrais briller la lampe familiale, sans pouvoir aller comme au temps légendaires, demander ma part à Dieu, la part de tendresse & de bonheur intime à ceux qui restaient : les miens ; cette idée seule ne suffisait-elle pas pour m’affermir dans ma résolution ! mille fois s’en aller plutôt !
Enfin j’espère beaucoup maintenant. Le grand cœur de Léon de d’Auré a senti que je disais vrai : mais les femmes ne comprendront jamais
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rien à ceci : qu’on aime une femme et qu’on la trompe, la Femme française surtout. Et de cette éternelle non compréhension vient le malheur familial éternel.
À bientôt j’espère Mon Cher ami,
Je te fais part de mes espoirs, t’ayant mélé à mes peines intimes, tu es le seul d’ailleurs.
Ton vieil ami
Féli
Détails
Support
1 feuillets, 3 pages, Vergé, Beige.
Dimensions
178 x 224 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR