Numéro d'édition: 1119
Lettre de Félicien Rops à [Homme inconnu]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Homme inconnu
Lieu de rédaction
[Paris]
Date
1880/05/06
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/7030/3
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Croquis
F.R.
6 mai 1880
Mon Cher Vieux
Je ne trouve rien qu’une
– La perte de Louis Dubois m’a été très sensible. On reste toujours fidèle aux premiers amis – on ne les remplace pas, & lorsqu’ils ne sont plus, on oublie leur défauts pour ne se souvenir que de leurs qualités. Comme artiste d’ailleurs il avait assez de talent pour se faire pardonner beaucoup de choses. Tu me diras où tout cela en est relativement à la maison & ce que les enfants deviennent ou vont devenir. Fera-t on une vente ? Si on en fait une je pourrai envoyer une peinture ou un dessin. Tu sais que je ferai d’ailleurs, ce que tu décideras de faire. Il m’est de toute impossibilité de me trouver à Bruxelles avant le 1er Juin. Je n’ai juste que le temps nécessaire d’ici là pour exécuter ce que je dois exécuter. Et c’est une affaire d’une importance extrême pour moi. Voici ce dont il s’agit : Tu sais combien, – même à Paris, – mes dessins dans leur intensité & dans leur brutalité, (dont je suis souvent inconscient) sont difficiles à faire accepter au public par un éditeur. Et lorsque le susdit éditeur veut l’assouplir ou le morigéner ce vieil indécrottable de Rops l’envoie s’asseoir lui et son livre. C’est ce qui est arrivé avec le Musset ! L’autre jour, à la vente Calmels, il est passé trois dessins de moi représentant des Filles Parisiennes de 1870, et qui ont été vendus 1,100 francs les trois, et achetés par un « riche amateur ». – L’Éditeur Charpentier les a vus, s’est allumé, & le lendemain est venu me proposer d’illustrer Daudet & Zola. – Nous commençons par le Fromont Jeune & Risler ainé de Daudet. J’ai cinq dessins à faire fin du mois. Juste le temps de l’exécution matérielle. Si le public mord, nous continuons. Et c’est du travail pour ainsi dire pour le reste de mes jours. Ce n’est pas que je « manque d’ouvrage » mais il faut que je soigne ma réputation au point de vue de la publicité, c’est énorme ici cela ! Et puis la Vie Moderne c’est mon affaire.
Le Salon s’est ouvert, c’est une halle à tableaux il y a 7,000 nos ! Cela devient de la Folie. Pour moi c’est la Jeanne d’Arc entendant des voix de Bastien Lepagne qui emporte le morceau, c’est traité tout à fait à la moderne d’ailleurs. L’Herremans fait un four formidable et je le regrette car il y a là un grand effort & un tableau « de courage ». Mais pourquoi faire des « scènes à femmes » lorsqu’on ne les aime pas ?
– On a beau dire que c’est un public Bruxellois. Bruxelles comme costumes diffère trop peu de Paris, & ce tableau sent la province, une province sans saveur. C’est en retard. – C’est trop dangereux à exposer ici, tu comprendras cela : on sort des Bals masqués, qui changent chaque année de physionomie & d’allures. Cette année toutes les femmes, sans masque, habillées de dentelles blanches ou noires serrantes, de la nuque à l’orteil, avec des allures ondoyantes de bêtes étranges : moitié sphinx moitié serpents, étaient tout à fait nouvelles non pas d’aujourd’hui, mais de demain. Et le bon Herremans arrive devant ce public parisien qui a l’œil & l’amour de toutes les élégantes perversités, (ce qu’un peintre de Modernité doit avoir, ce que Gavarni avait !), avec un tableau qui représente de bonnes dames habillées à Nivelles et de bons messieurs habillés en notaires, s’amusant très honnêtement après diner. Mais sacré N. de D. c’est stupide de se flanquer à travers des sujets comme cela quand on n’est pas un peu vicieux soi même ! Il y a ici en même temps un Bal public de Jean Béraud effet de nuit aussi – Si tu voyais comme tout le monde qui se meut là dedans est élégamment canaille ! & les jolis museaux qui papillottent là ! – Par esprit de clocher je défends le tableau d’Herremans autant que je le peux – mais c’est difficile ! – Smets non plus n’est pas heureux cette année c’est malade terne, froid.
Le tableau de Speckaert est bien peint un peu gris, mais très apprécié comme facture honnête et simple. L’Asselbergs est bien mauvais, le Coosemans passable. Voilà à peu près le bilan de notre pays.
Delperée est académique & ici on n’aime cela que quand cela est très bien fait, or ce n’est pas le cas.
N’oublie pas que si tu viens ici, ton lit est prêt. Les portraits ne sont pas très étonnants, il y en a beaucoup de mauvais. Somme toute ce n’est pas une très belle exposition. Il y a trop de tableaux & cela dégoute le public de la peinture.
– Si le Cercle veut me faire faire une machine quelconque – comme je te l’ai dit je suis à sa disposition.
Liesse travaille & t’envoie ses compliments, écris moi un mot je suis impatient d’avoir des nouvelles de la famille de notre notre pauvre Louis.
À propos de Louis, Artan es-t-il encore à Bruxelles ?
Je n’oublierai pas tes eaux fortes & avant de partir je te ferai tirer une collection de tout cela. Sois-en certain.
Bonnes Amitiés à ta famille.
Je te serre bien la main
Fély
Ma filleule Marie n’était-elle pas à Athènes lorsque Louis est mort ? – Marie a-t elle pu revenir, Pauvres filles ! Tout cela est bien triste ! – J’ai écrit à MmeDubois a-t-elle eu ma lettre ?
Détails
Support
1 feuillets, 1 pages, Papier de qualité, Crème.
Dimensions
366 x 258 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR
Personnes citées
Félicien Rops
Henri Liesse
Fortuné Calmels
Louis Dubois
Georges Auguste Charpentier
Paul Léopold Speeckaert
Louis Artan de Saint-Martin
Alphonse Daudet
Alfred de Musset
Émile Zola
Charles Hermans
Homme inconnu
Joseph Théodore Coosemans
Jean Béraud
Alphonse Asselbergs
Eugène Smits
Guillaume Sulpice Chevallier
Jules Bastien
Émile Delpérée
Marie Dubois
Madame Dubois