Numéro d'édition: 1382
Lettre de Félicien Rops
Texte copié
N° d'inventaire
ML/03091/0001
Collationnage
Autographe
Date de fin
2024/12/30
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Archives et Musée de la Littérature
Page 1 Recto : 1
Monte Carlo – Vendredi.
Je suis heureux de savoir que le frontispice t’a plu. J’y avais mis tous mes soins & taché de faire « de mon mieux. Le désagrément c’est la petitesse du format. Je travaille au Don Paëz que je t’expédierai dans quelques jours, avec un musicien jouant de la flûte & une norvégienne (pour les Aqua-Fortistes.) Tu recevras presqu’en même temps que cette lettre une épreuve tirée à la diable de mon Affuteur que j’ai gravé pour Cadart & sur lequel Banville a fait dans le National un joli bout d’article. Je viens de terminer pour la future princesse Radzywill, – MlleLouise Blanc, sœur de Camille, un éventail, à l’aquarelle sur velin, qui représente des beaux seigneurs & belles dames se faisant la cour, à travers des papillons & une pluie de violettes de Monaco, (la violette de Parme simple ;) c’est je crois une chose réussie. J’expédie à l’exposition du Cercle Artistique : Une vue de Monaco, & le Cap Martin qui est peint dans la chambre à manger d’Anseremme, entièrement refait sur
Page 1 Verso : 2
nature. Tu le verras et tu le défendras car cela sera très engueulé par les gens qui ne connaissent pas le pays.
Je regrette le Monaco pour toi, car le climat y est réellement étonnant pendant l’hiver, on ne se plaint que d’une sécheresse prolongée, nous avons eu trois ou quatre jours de pluie depuis le 20 janvier ! Aussi cela nous fait un effet drôle quand nous lisons : « les Inondations » dans les journaux. Nous déjeunons en plein air & les rosiers sont en fleurs. – Je travaille comme tu le vois comme je n’ai jamais travaillé, je travaille même un peu trop, mais il faut rattraper le temps non pas perdu mais dépensé.
Je fais le Don Paez lorsqu’il va trouver la vieille pour avoir du poison, cela vient assez bien, il faudra que cela vienne tout à fait bien.
Je connais la maison de Simpel, cela n’est pas trop loin, & cela est bien, si tu ne fais rien à l’atelier tu me le loueras, au prix de celui que je loue cela te fera des rentes.
La Lesse devait être très belle à voir. Tu as raison Edmond est un bon compagnon, – quand tu l’auras débarassé de sa potinerie de province, on pourra je crois compter tout à fait sur lui. Je l’aime
Page 1 Verso : 3
bien & les bons compagnons francs de l’allure & du collier, de belle santé physique & morale se font rares. Moi, cela me manque fortement ici. – Vous me manquez ! Figure-toi que je ne trouve jamais quelqu’un pour m’accompagner dans mes excursions ! Quelles tournées nous ferions ensemble ! – Il y a dans ces Alpes Maritimes des coins introuvés qui sont surprenants. – Il faut un jour entier pour arriver à la montagne qu’on a sur le nez, & que l’on croirait pouvoir escalader en une heure comme le rocher de Moniat. Cela tient à l’étonnante pureté de l’air ; Je vois la Corse de ma fenètre de la Villa Belle. On couche dans des monastères, à Cimiès, à N.D. de Laghet, – avec de bons moines blancs ou gris qui vous donnent à manger & font de belles taches sous les oliviers.
Croquis
Et tous ont des parapluies bleus ou rouges ??? Dans un pays où il ne pleut jamais ! Il y a évidemment là une tradition. Et quels parapluies ! La Tente des Pères du Désert. Je l’assure qu’ils sont plus intéressants que les notaires. Et je suis toujours seul. Je fais quelque fois cinquante kilomètres en un jour. Tu sais comme l’on s’emballe tout seul en marchant, & cela a failli me jouer un mauvais tour dans l’Agel.
Page 1 Recto : 4
Si on est pris par les nuages on est flambé, il n’y a plus moyen de retrouver sa route : on est dans le nuage. On est dans la pluie pendant – qu’en bas Monaco est dans le soleil. – Cela m’est arrivé et après sept heures de détours je suis parvenu à descendre sur Menton où j’ai couché. On me croyait mort ou assassiné par les brigands. – Car les brigands qui tiennent eux aussi aux traditions continuent à arrêter les « berlines » sur la Corniche, et il continue à y avoir de vrais Anglais dans de vraies berlines, avec la malle derrière la voiture, qui eux aussi tiennent à se faire arrêter par ces traditionnels brigands que je soupçonne être payés par S.A.S. le prince de Monaco pour ne pas laisser s’en aller la couleur locale de la principauté. – Quant à moi, je demande à en voir un ! Je rencontre des bergers étranges qui n’ont pas de chèvres, et ont un fusil sur le dos, il paraît que cela en est ! J’avoue que ces bergers pourraient donner quelque venettes au Nommé Fortamps qui ne se défiait pas de T’Kindt lequel avait des souliers vernis et un beau faux col ; mais il faudrait autre chose pour nous troubler nous les bons peintres ! – Quand je rencontre ces Messieurs de la montagne, ils m’offrent du vin de Turbia à même leur gourde. Que veux-tu demander de plus ? Il est vrai que les soixante cinq centimes que je possède habituellement ne représentent pas une proie !
le voyage en Italie est remis, heureusement ; Camille souffrant préfère le faire à l’arrière saison – moi aussi, j’ai trop d’ouvrage maintenant. Le Musset me tient par le cou. Il faut le mener à bonne fin. – À propos de Simpel, où est-il donc passé ?
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
AML