Numéro d'édition: 1581
Lettre de Félicien Rops à [Alphonse Pierre Lemerre]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Alphonse Pierre Lemerre
Lieu de rédaction
Saint-Cloud
Date
1877/03/23
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
35120/1
Collationnage
Scan
Lieu de conservation
France, Paris, Ancienne collection du Musée des lettres et manuscrits
Apostille
Le 15 Juin 4 dessins devront m’être livrés & ainsi de mois en mois, Le 29 mars 1877. AL.
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St Cloud
23 mars 77
Mon Cher Lemerre,
J’ai eu grand tort vis à vis de vous & je m’en accuse. Vous m’avez traité comme un ami de vingt ans, vous avez eu pour moi toutes les délicatesses ; vous ne pouvez vous imaginer la reconnaissance que je vous en ai & j’espère être encore à même de vous la prouver. Votre conduite à mon égard eut dû me dicter la mienne, & j’eusse dû vous tenir au courant des événements inattendus qui boulversaient ma vie ; mais ces événements même étaient d’une nature difficile ou du moins pénible à expliquer. Les gens qui ont eu le bonheur ou le malheur d’être toujours dans une grande aisance parlent difficilement de leurs embarras d’argent & c’était mon cas. Je vais tout vous dire, cela me mettra plus à l’aise avec vous & cette preuve de confiance réparera un peu mon silence & ma conduite passés. Voici la chose en quelques mots : Je suis parti l’an dernier pour Monaco, – au moment ou je commençais le Musset, & vous savez avec quelle ardeur & quel plaisir je faisais ce livre, – j’ai trouvé à Monaco, un de mes amis industriel père de famille homme fort honorable, à la veille d’être ruiné par une faillite, j’ai répondu pour lui pour une Somme Considérable, – relativement, &
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& – j’ai dû payer. – Vous comprenez ma position. – Je devais payer – jusqu’en mai 1877 près de deux mille francs par mois, y compris ma vie de tous les jours, car mes ressources personnelles de l’année avaient servi à couvrir les premiers payements. Je ne voulais parler à personne de cette triste affaire il fallait donc trouver en moi de quoi faire face à la chose & me libérer rapidement honnêtement sans laisser protester ma signature. C’est ce que j’ai fait, – le quinze mai j’aurai tout payé ou à peu près, – mais je vous assure mon Cher Lemerre que cela a été dûr ! Heureusement j’avais en portefeuille une œuvre assez curieuse d’études faites de côté & d’autre, un éditeur m’a proposé de faire cent dessins d’après ces études, pour un amateur connu de lui & pour une somme équivalente à la Somme que je devais payer, moins trois ou quatre mille francs. L’amateur me laissait libre de faire les sujets qu’il me plairait de faire. J’espérais mener de front cette besogne formidable & le Musset. Je comptais sans « le malheur classique qui ne vient jamais seul » je suis devenu malade, puis Paul, mon fils, & il a fallu rattraper le temps perdu & reprendre mon travail forcené. Certainement j’aurais pu « vous livrer » des illustrations quelconques & je vous assure que j’ai assez de patte pour enlever de chic des dessins quelconques en deux jours & je pouvais vous donner une bottes de dessins faits à la hâte que vous auriez payé comme de bons, mais cela n’eut été digne ni de vous, ni de moi ni de Musset. J’avais réuni les matériaux d’une œuvre sérieuse, je ne voulais pas gâcher tout cela. – Vous concevez
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Que lorsqu’on « livre » cent grands dessins en dix mois on peut faire à la volée quarante petits dessins ! Je ne l’ai pas voulu. Ai-je bien ou mal fait vous en jugerez. Voici ce que je vous propose, quoique vous ayiez seul le droit de faire des propositions maintenant, puisque somme toute, je n’ai pas tenu mes engagements : Le quinze mai je suis entièrement libéré de ces travaux forcés & peu mérités car je ne m’étais laissé entraîner à donner ma caution que pour sauver un ami de la ruine & je le ferais peut être encore si c’était à recommencer. Voulez vous me laisser faire le Musset ? je vous engage ici ma parole d’honneur que n’ayant plus aucun obstacle je ferai régulièrement les dessins du livre & je crois que je peux les faire aussi bien qu’un autre. Un autre ne les fera pas plus vite pour les faire bien. Je peux en faire cinq par mois. Je suis « entrainé » ! – à mes dépens ! Nous ferons pour l’Exposition un beau livre dont je serai plus fier que vous. – Je ferai tous les dessins de la dimension du grand format, j’ai repris chez le photographe Billard les deux dessins : Hassan & les Marrons du feu que j’avais faits en petit. Comme je vous l’ai dit Mon Cher Lemerre j’ai tout préparé. de plus chose importante je vous dois de l’argent sur le livre, je crois qu’il vaut encore mieux me laisser faire cela que de le donner à un autre, ce qu’évidemment & justemment, un autre éditeur à votre place, ne manquerait pas de faire. Gouzien qui a servi d’intermédiaire dans l’affaire des cents dessins vous portera cette lettre & me rapportera la réponse. Je me soumettrai naturellement à ce que vous décidrez. Si vous me retirez les illustrations du Musset, je vous
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enverrai de suite une reconnaissance des avances que vous m’avez faites sur cet ouvrage, je vous demanderai seulement quelques mois pour m’acquitter. – Mais j’espère encore en l’intérêt si amical que vous m’avez courageusement, c’est le mot, témoigné jusqu’ici. – Si vous ne me laissez pas le livre, je le ferai pour mon plaisir & pour le simple verd laurier du pauvre Glatigny. Et je l’exposerai pour vous donner des regrets, car ma vanité est telle que je prétends qu’à part Eugène Lamy, je le ferai aussi bien que n’importe qui. Voilà.
Je suis ici dans une chambre d’auberge à St Cloud, où je suis forcé de m’exiler pour bucher à mon aise. Aussi cela m’a fait sourire quand vous m’avez appelé : paresseux, l’autre Dimanche en allant à Ville d’Avray.
Chaque fois que je vous promettais d’aller vous porter des dessins, je passais une nuit à en faire, un puis le lendemain je me disais ; mais je ne peux pas porter un dessin médiocre à Lemerre ! & je me remettais à ma glèbe de fin de mois. – Et ce qui me désespère c’est que j’en ai fait de bons dans ces cent dessins ! Et que je ne les reverrai probablement jamais ! –
À bientôt Mon Cher Lemerre & j’espère une bonne réponse.
Je vous serre la main de bonne amitié & je vous remercie encore de votre gracieuseté à mon endroit.
Félicien Rops
Notez que à part Gouzien personne ne sait ce que je vous dit, pas même Malassis qui doit être bien intrigué de cette persistance à ne pas faire un livre que j’étais heureux de faire. –
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Ancienne collection - Musée des lettres et manuscrits