Numéro d'édition: 1630
Lettre de Félicien Rops à [Eugène Demolder]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Eugène Demolder
Lieu de rédaction
Paris, 1 Place Boieldieu
Date
1893/11/29
Commentaire de datation
Datation complétée sur base de l'apostille.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6425/4
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
1893
Page 1 Recto : 1
1 Place Boieldieu.
Paris 29 nov.
Mon brave ami Eugène,
il faut d’abord que tu me pardonnes de t’avoir caché quelque chose, (que ton flair littéraire a dailleurs deviné,) – et puis j’aime mieux tout te dire en quelques lignes : tu me renverras cette lettre, car comme tu es plus jeune que moi, tu es encore plus mortel, – à mon âge on ne meurt plus ! – et je suis payé, ou plutôt je paie, pour savoir ce que s’égarent les lettres les mieux gardées, – et il faut que celle-ci ne revienne pas sur l’eau – sur « l’océan des âges » !! – Donc rien que quelques lignes. Depuis quelque temps je suis la proie d’un tas d’imbéciles, qui se sont mis à faire la guerre à tous les artistes étrangers non naturalisés. – Il y a longtemps que l’on m’a fait des propositions de naturalisation, avec toutes sortes d’avantages spéciaux trop longs à numérer. Refusées pour toutes sortes de raisons de sentiment, quoique je n’aie guère à me louer de la Belgique ; mais, pour l’instant ces sentiments sont en moi ; Quand ils changeront, s’ils changent, je changerai peut être. Actuellement les choses sont telles. Je ne sais comment, car l’homme qui m’avait fait ces propositions était des premiers, et des plus honnêtes ; – le bruit de mon refus se répandit dans le monde artistique et l’on en fit des gorges chaudes, et même brûlantes ! – L’artiste
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fut attaqué, & l’homme aussi. Comme homme, galantement, il était attaquable, & ma vie n’était pas à comparer à celle de la rosière de 1893, et comme il n’était attaquable que du côté de la blancheur des mœurs, on en fit un héritier de Mr de Sade. Je m’en fichais comme du dernier discours de l’Académie, quoique des femmes s’en fussent mêlées, surtout un groupe de belles Madames, dans lequel, dans le temps, j’étais entré fort poliment, et dont je n’étais sorti, ma foi que lorsque j’aurais pu y rentrer à cheval, botté et éperonné comme Bassompierre ! – Il y a temps pour tout.
L’artiste attaqué : cela m’était plus sensible je l’avoue. À tort ou à raison, j’ai la fierté de ce que je crois valoir. Si l’on m’avait attaqué simplement, de front, la pointe au corps, je ne me serais pas troublé, & je n’aurais pas rompu d’une semelle, mais j’ai été attaqué « par comparaison » & on en est arrivé par dire et par faire croire aux Jeunes, qui ne connaissent pas mon œuvre, à cause de sa rareté d’abord, et de son époque aussi, que j’étais en dessous, de Chéret, de Villette voir même de « Balluriau », que je n’avais rien inventé que ces gens là n’eussent trouvé, quand « ces gens là » m’avaient mis nu comme un petit St Jean, dans le vrai ! – Puis : je suis plus fort qu’eux voilà le vrai aussi, c’est mon sentiment, et quoiqu’il soit peut être panaché de ridicule anti-modeste, & d’orgueil : je n’en bouge jusqu’a ce qu’on m’ait prouvé le contraire !
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Je tiens beaucoup à l’opinion des « Jeunes » ils sont plus vieux que moi, pourtant plus avancés en art puisque 1890 est plus vieux que 1860. J’ai la conscience que je ne suis pas un maître, – je me fous de la Chèrermaîtrise ! mais que je suis un bon Compagnon, sachant son métier, & tâchant de s’y perfectionner jusqu’à ce que la vraie vieillesse lui fasse tomber son outil des mains, et surtout ouvrant & laborant avec probité artistique, et en fin de compte faisant de mon mieux, & suivant mon propre nez. Je me suis donc fichu en colère, pour de bon ! Comme l’idée qu’avait eu le doux raseur Pincebourde de publier ton étude patronymique était dans le vent, j’ai imaginé, – ne pouvant pas dire bien des choses moi-même de faire écrire par Liesse une lettre, – que j’ai écrite, (Ah ! sans vergogne ! j’étais en cas de légitime défense,) et la colère comme une fièvre mëlliaire avait fait sortir « tous mes orgueils » ceux que tout homme chaud et couillu, tient comme des boutons entre cuir & chair, sous la peau à l’état latent, sous vapeur ! J’ai fichu tout cela dans cette lettre. Malheureusement j’en ai passé les épreuves à Liesse, qui s’est mis à châtrer tout cela avec ses bonnes petites phrases, – bonnes pour le rhume, et je l’ai prévenu d’ailleurs que j’allais « arranger » tout cela. Charge toi de cette besogne te prie. Supprime la lettre ! d’abord, Liesse n’a rien à voir en cette affaire, puisque je te demande
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de te charger de la chose, et que tu le désires également !
Ne fais pas attention à ce que peut te raconter le père Pincebourde. Il ne compte pas ! – Je mettrai demain tout au matin les épreuves à la poste à ton adresse. Ne réponds rien à Pincebourde, & attend mon paquet d’épreuves. –
À toi & à demain mon Vieux,
Fély
En steeple chase !
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Gris-vert?.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR