Numéro d'édition: 1810
Lettre de Félicien Rops à [Armand Rassenfosse]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Armand Rassenfosse
Lieu de rédaction
Paris
Date
1894/03/21
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6957/19/139
Collationnage
Autographe
Date de fin
1894/03/21
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Illustration
Lettre illustrée
Page 1 Recto : 1
Paris 21 mars 1894
Mon Cher Rassenfosse,
Vous voyez que vous êtes de mon avis : ma planche est désastreusement jolie, & c’est déplorable, mais le croquis, c’est le vrai frontispice. Le vernis mou marche assez bien, une seule chose m’horripile : la non siccativité du petit vernis à couvrir sur le vernis mou !!! Il ne sèche jamais ce cochon là !
– Vous ne vous servez presque pas de lui, sans cela vous vous en plaindriez et cependant pour les finesses il faut bien y avoir recours. J’ai l’habitude depuis que je fais de l’eau-forte d’avoir recours à la cire à modeler, et avec le vernis mou voilà ce qui se passe :
Croquis
le noir : C’est le petit vernis posé autour du travail par excès de précautions, ce que font tous les graveurs / le rouge représente le rouleau de cire à modeler pour entourer le travail à faire mordre.
Avant de mettre la cire qui doit entourer le bassin, (pour plus de précautions,) j’entoure mon vernis mou partout où il n’y a pas de gravure d’une couche de petit vernis, ci-joint représenté par l’encre de chine au pinceau. Cette couche sèche mal, ou plutôt ne sèche pas. Si j’applique là dessus ma cire en bâtons représentée ci-dessus par la teinte rouge, l’acide
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fuse sous la cire et lorsque la morsure est terminée, après avoir enlevé le tout : cire et petit vernis, ma planche a une auréole de saletés, de piqures, de morsures non attendues qui lui ôtent tout le charme de la « propre ouvrage », c’est décourageant.
Croquis
bords de la planche ! / Le résultat est d’ailleurs a peu près le même quand on met la cire à même sur le vernis mou sans petit vernis à Couvrir. Puis cela remord désastreusement sur les parties autres, couvertes pendant le travail ! / bords de la planche
Cela a mordu sous la cire, toujours ! Quand on ne met pas de cire, les morsures sont moindres, Mais encore, comme le petit vernis ne sèche pas, c’est encore exposé à toutes de sortes de hasards désastreux.
– Puis si on ne met pas de cire, il faut couvrir le derrière de la planche de petit vernis non siccatif, et cela fait des trous, dans ce derrière, où ils sont inutiles !
– Puis si l’on fait « des couvertures » indispensables à toute eau forte & à tout vernis mou « fin », c’est le diable encore !
Croquis
supposez que je veuille emporter des lumières sur une chevelure blonde en trouvant que ces lumières ont assez mordu, comme l’exemple ci-joint, et qu’après avoir attendu une demi-heure au moins, je juge que je peux
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nettoyer l’eau et l’acide qui restent avec le papier buvard, mon papier buvard se colle à la couverture de petit vernis et quand j’enlève le susdit buvard découvre le cuivre à nouveau ! et cela fait encore des tripotages qui rendent la continuation du travail impossible. Il est nécessaire, de toute nécessité, que tu couronnes notre œuvre en trouvant un petit vernis qui fasse disparaître le ramolissement du vernis mou, et soit un vrai siccatif. Étudie cela sérieusement ou nous ne ferons jamais que du vernis mou grossier et pas pratique. Ni pratique, ni rapide surtout ! or il faut travailler rapidement !! Le plus rapidement possible !! et ces attentes « à la siccativité » sont énervants, mangent énormément de temps, et ôtent le charme de la variété dans le travail. Je n’ose plus « couvrir » il faut trop de temps !! Ne pourrais-t-on pas ajouter n’importe quoi à ce petit vernis !? ou faire du Vernis mou sans la souplesse, la joliesse et l’inattendu de la Couverture, cela n’existe pas !
Les anciens employaient de la cire en fusion avant le petit vernis mais la cire est épaisse, ne peut couvrir les petites finesses. Je l’ai employée : c’est insupportable. Ce n’est que depuis quelque temps que je m’aperceois de ce grâve désagrément, mais il est Capital !! Puis pour la retouche c’est si commode : un bout de cire, on fait un rond, un peu d’acide et tout est dit tandis que lorsqu’il faut petit-vernisser sa planche entière, on ne le fait pas, et on n’a pas la bonne satisfaction de terminer la planche jusqu’au « fin bout !! » le fin et la fin du fin !!!
C’est le séchage de la planche au papier buvard qui est surtout impossible !!!
Page 1 Recto : 4
Je conclus de tout cet affreux griffonnage, – dans lequel je ne sais si tu pourras me lire et t’y retrouver ! – car il ne me reste que quelques minutes pour achever cette lettre, et la porter à l’agence Fournier qui se chargera de la faire partir ce soir, si elle arrive avant 7 heures à son bureau ; – puis j’écris avec une plume qui doit être la même dont se servit Noé pour signer dans l’arche sa feuille d’embarquement ; – je conclus, dis-je, que la recherche rapide d’un petit vernis plus rapide encore un petit vernis foudroyant qui se combinerait avec le vernis mou et absorberait les qualités, – devenues des défauts, de celui-ci est de première et absolue nécessité, et « immanent » le vernis ! Il ne nous manque que cela ! – et l’œuvre, le Grand Œuvre est « summumifié » dirait Lemonnier, en son art simple. Vite Mon Cher Rassenfosse, saisis tes cornues, et que l’ombre de Lavoisier qui est derrière ma chaise t’inspire : si on ajoutait ou plutôt si on employait un vernis tout fait comme le vernis copal ? Il faut que nous sortions de là. Quelle matière « desséchante » pourrait-on bien fourrer dans ton petit vernis ????
Cette lettre est dégoutante à lire, mais elle est importante, pour « l’œuvre » pour toi & pour moi, car regarde une de tes dernières planches la faunesse assise qui tient une branche d’arbre. Son défaut est de manquer de finesse dans la morsure, parce que tu n’use pas assez de couverture. Tu aurais du atténuer en couvrant ces gros contours monotones, la lourdeur des mains, les fonds, sans cela ce procedé « fin » devient une grosse lithographie, ce qu’il faut éviter et fuir ! – Le grain renforcé de p. ponce résiste. suffisamment au séchage par le buvard, c’est le Vernis qui n’y résiste pas ! Donc étudions le vernis ! c’est le seul point faible de « l’œuvre » ! mais il est réellement faible.
Page 2 Recto : 5
Vollard est toujours rue Laffitte. Il a dû avoir votre lettre mais pour répondre, il est négligent en diable & paresseux comme un nègre qu’il est.
Je vais passer chez lui.
Bonnes amitiés, Mon Cher Ami, aussi chez toi, et à bientôt un vernis rapide comme l’électricité et sec comme l’Académie des Beaux-Arts. Section Gérome.
Fély
Tiens ! je t’ai encore vouvoyé par oubli !
– Dans la dernière planche, pendant le travail, j’avais bouché un nez en commençant la morsure. Ce nez après avoir été touché par le buvard y est resté en entier découvrant le cuivre :
Croquis
papier buvard
il a fallu recouvrir à nouveau deux fois ! chaque fois n’étant pas bien sec il adhérait au buvard. Cela arrive trop souvent ces machines là On ne peut pas cependant ne pas faire de couvertures ! – Allons Mon Cher Ami « viens-venez » à mon secours. Si on ne se sert pas de Buvard comme j’ai déja fait, cela va encore, mais alors on est sans ressources réelles pour « faire ce que l’on veut .
Axiome : un petit vernis ne sèche jamais assez vite, ni assez complétement !
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Vu hier Deschamps de la Plume. Il va probablement te-vous demander de petits frontispices au Vernis mou pour sa « Bibliothèque ». Je lui ai dit que vous pouviez très bien me remplacer. – Ne faites plus rien – surtout – pour cette brute grignarde de Pincebourde. Il ne peut vous faire que du tort, et sérieusement, – car il continue ces « genre Rops » dans toutes sortes de petits prospectus qu’il répand dans un certain public. C’est un rapace grotesque. Je l’ai flanqué à la porte. Net.
En voilà un charabia !! Et ma lettre ne partira que Jeudi ! il est trop tard !!!
F
Débrouille si tu peux et comprends si tu l’oses !
Détails
Support
2 feuillets, 6 pages, Vergé, Gris-vert?.
Dimensions
181 - 181 x 233 - 176 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR