Numéro d'édition: 1603
Lettre de Félicien Rops à [Émile Hermant]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Émile Hermant
Lieu de rédaction
Paris
Date
1885/02/11
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
73875
Collationnage
Scan
Cachet d'envoi
1885/02/15
Cachet réception
1885/02/16
Lieu de conservation
France, Paris, Ancienne collection du Musée des lettres et manuscrits
Page 1 Recto : 1
Croquis
Paris 11 fév. 1885.
Mon Cher Vieux
J'ai préparé une petite farde d'épreuves pour toi. Dis moi où je dois t'envoyer cela. – À Bruxelles ou à Louvain ? C'est dans un portefeuille. Les épreuves ne sont pas montées. Je te conseille de les monter sur Bristol Blanc. Garde ces machines là soigneusement, la plupart des planches n’existent plus. C'est la Rareté même !! – Je reviens de San Remo & je vais y retourner quelques jours. – J'ai trop travaillé, j'ai besoin d'un peu de repos. C'est énorme ce que j'ai fait ! Si tu venais à Paris préviens-moi toujours quelques jours à l'avance. Si tu viens au bal de l'opéra, « préviens » – Je reviendrai de San Remo, j’ai des passes, ou plutôt une passe personnelle. – Tout va bien ici, je suis devenu comme je t'ai dit « quelqu'un » & même un assez gros « quelqu'un ». Je vends tout ce que je fais, & c'est vendu d'avance. – Je bénéficie – un peu tard, – du dédain aristocratique que j'ai toujours eu pour les gros publics bourgeois, pour les foules, – toujours bêtes ! – Pour moi dans l'ordre esthétique, la pluralité des suffrages n'a jamais représenté que la pluralité des ignorances. Sans aucune modestie, je me sentais une distinction cérébrale qui s'accordait mal avec les éloges des sots & mes narines méprisaient le grossier encens des boutiques en vogue ; – bref j'ai toujours eu horreur de toutes les banalités de toutes les commandites, de toutes « les bandes » – j'ai été seul & je crois que j'ai bien fait. – Mais il faut avoir un tempérament de « méprisant »
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pour faire cela, & le mépris des petites vanités courantes, et c'est assez rare je l'avoue. – Les hommes ont toujours une crainte vague & un respect caché pour ceux qui savent se passer d’eux & de tout ce qu’ils vénèrent, – le mépris des satisfactions bourgeoises trouble les bourgeois & les désoriente. – Là est le secret de beaucoup de « Forces ». – Goncourt, Adrien Moreau, Baudelaire, Proudhon, Millet, Daumier. – Ce sont des « Hautains » ! Les autres sont des « Wauters » et des « Claretie »
À mesure que je vieillis, mon vieux Émile, il me semble que mon cerveau s'élargit. Je me sens plus vivant, plus vibrant, qu'en ma prime jeunesse. Comme les aéronautes je jette chaque jour un petit lest de préjugés cachés & de petites bêtises amassé par ma longue vie en province, & je tâche d'aller « plus haut ! » Je vois dans ma tête de grandes & de bien curieuses choses à faire ! Tout cela ne m'empêche pas de rester un homme gai & de pincer le poil aux dames ! –Et tu as bien raison de faire la même chose & de garder ce bon amour de la Femme qui est le
Commencement & la Fin de toute Sagesse !
À toi à perpétuité,
Fely
J’embrasse ta petite amie qui a dressé ta liste. Je suis certain qu’elle ne se scandalisera pas la mignonette, des nouvelles épreuves envoyées. – Je regrette que tu ne sois pas venu & que tu sembles disposé à ne pas venir cet hiver. Enfin nous nous rattraperons en mai si tu ne viens pas maintenant ; Mais ne va pas me rater ! – En mai nous irons voir ensemble la vallée de Corbeil audessus de laquelle je vais planter ma nouvelle tente. – Je quitte Bièvres, je fais demain mon déménagement. J'ai trouvé une chose délicieuse dans un coin de la Seine qui rappelle la Meuse. Je vais racheter des canots & mener là la vie que nous menions à Anseremme.
Cela a nom : Roche-Claire, une prédestination ! – Et la gare ! : Moulin-Galant ! est-ce assez fait pour moi : Roche-Claire par Moulin-Galant ! Nous y passerons une bonne journée ! – La Seine et la Seine d’avant Paris claire comme une fontaine, au bas – vis à vis la Forêt de Rougeaux, enfin tout ce qu’il faut pour vivre. – Uzanne est mon locataire, j’avais loué, ne pouvant obtenir Roche-Claire, une maison au bas de la côte. – Je l’ai recédée à Uzanne. Il y a là le restaurant de la mère Dunou, une mère à peintres. Enfin c’est un Anseremme, – plus fin. – Et j’ai des vignes ! je te forcerai à boire de mon vin le pistolet sur la gorge ! – apprête tes syncopes ! –
Amitiés à notre vieux Robyns.
Détails
Support
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Dimensions
indisponible x indisponible mm
Copyright
Ancienne collection - Musée des lettres et manuscrits