Numéro d'édition: 1778
Lettre de Félicien Rops à [Armand Rassenfosse]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Armand Rassenfosse
Lieu de rédaction
Saint-Méloir-des-Ondes, La Guymorais
Date
1892/08/29
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6957/19/107
Collationnage
Autographe
Date de fin
1892/08/29
Cachet d'envoi
1892/08/29
Cachet réception
1892/08/30
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
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À La Guymorais commune de St Coulomb par St Méloir-des-ondes. (Ille & Vilaine) Ce jourdhui 29 Aout – 1892.
Mon Cher Rasenfosse,
Décidement c’est à moi d’être assez inquiet : Deux mois ½ sans nouvelles de Liége, près de trois mois même, cela me paraît devoir « avoir des motifs !! » Dites moi donc quelque chose ! Comment allez vous vous, et les vôtres ? & ceux de Liége ? Vous écrivez cependant à Nys, car il me dit qu’il a reçu des nouvelles de vous ? – Un mot je vous prie et dites moi ce qui vous arrive ! vite ! s.v.p. !
Moi Mon Cher Rasenfosse mon silence est plus explicite. J’ai encore été sous le coup de ces inflammations de l’œil qui chaque fois me jettent dans l’anxiété & les idées noires. Cette année lugubre pour moi ne finira donc pas ! Je viens encore de recevoir un coup qui me navre : Armand Gouzien un de mes meilleurs amis, un frère pour moi, un de ceux qu’on ne remplace pas, est mort il y a quinze jours à St Pierre de Guernesey, d’une congestion pulmonaire, subitement dans les bras de sa femme & de sa fille. Il était venu passer dix jours de sa convalescence avec moi à la Demi-Lune. Très atteint par l’influenza cet hiver & une influenza qui l’avait mis à la mort, il était heureux de se sentir dans le milieu affectueux de labàs, et des projets d’avenir et de gaieté se mêlaient à nos longues conversations de dessert, où
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nous allions « nous rémémorant les chauses d’antan. Nous avions tant vécu de la vie l’un de l’autre ! Je l’avais connu faiseur de chansonnettes pour Café concert, et employé du télégraphe ! parti de sa Bretagne avec les 800 francs que sa « position » lui procurait & un habit noir trop petit, et il était devenu inspecteur des Beaux Arts, Commissaire du Gouvernement près les théatres subventionnés, décoré de partout, grand’croix de toutes sortes de choses, etc, etc, par la seule force de sa vive prompte & claire Intelligence ! – Je ne peux me faire à l’idée que je n’entendrai plus sa joyeuse voix sonore, que je ne verrai plus devant moi sa belle tête de Celte, et son bon regard, regardant en face plein de large bienveillance. Mon pauvre Rasenfosse, je suis dans une triste passe : C’est une génération qui me quitte, & si je ne savais pas que je manquerais à quelques êtres qui m’aiment, je partirais sans regrets avec elle ! Lugubre bilan que celle de cette année. Pour moi absolument perdue ! – Ferai-je encore de l’Art ? Le pourrai-je ? – Il faudra que je vous demande à ce propos un service « moral » que je ne peux guère demander qu’à vous. – J’écrirai dans quelques jours à Donnay & à Moreels. Qu’ils ne m’en veuillent pas de mon long silence. Je réparerai cela. Je n’ai pas vécu cette année. Je la retranche de ma vie.
À bientôt, bientôt et vite Mon Cher Rassenfosse.
Il y a si longtemps que je n’ai reçu des nouvelles de vous, que j’ai recommencé à ne mettre qu’un S à
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Rasenfosse.
Je suis ici en face des mers bleues avec des rochers et tout ce qu’il faut à un mariniste. Cela me fait songer à ce pauvre Artan. Encore un grand artiste, un maître, (pas un « chermaître » comme moi) et un brave cœur malgré tout ! Parti aussi ! Comme Dubois, comme Agneessens, comme tant d’autres, Décidément je survis à une époque, et cela n’est pas gai !
Je vous serre bien la main de vieille amitié car il faut bien que les jeunes que j’aime remplacent ceux qui partent !
Félicien Rops
Détails
Support
1 feuillets, 3 pages, Vergé, Gris-vert?.
Dimensions
176 x 224 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR