Numéro d'édition: 1837
Lettre de Félicien Rops à [Armand Rassenfosse]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Armand Rassenfosse
Lieu de rédaction
Paris
Date
1895/04/05
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6957/19/167
Collationnage
Autographe
Date de fin
1895/04/05
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Paris 5 avril 1895.
Figure-toi que je suis tellement occupé par mes « plantations de printemps » que je n’ai pu encore commencer mon traitement, ni même répondre à la lettre charmante du docteur Henrijean, ni même remercier notre ami de Witte de son très beau portrait, ni même achever le frontispice de Deman, ni même parfaire les deux dernières planches de Rodrigues, enfin ne rien faire, de ce que je devais faire depuis quinze jours. Je n’ai fait qu’une chose pie : j’ai commandé l’ambre chez le chimiste de la Sorbonne, & en bonne & sérieuse quantité. Voilà ! Je me gronde, mais cela n’avance à rien ! J’oubliais, il y a encore Dandoy Héliodore, Hély pour les Liégeois, – si tu le rencontres, dis lui que sous peu, il recevra le portrait promis, avec croquis tout autour comme les pommes autour du beefsteak, ou plutôt « du bifteck » car il parait que l’Académie pour passer le temps, a adopté cette ortographe marollienne. Coppée l’homme du Journal de Letellier, me l’a assuré. Il n’y a plus qu’à s’incliner.
Merci mon Cher Rass, de m’avoir répondu, & si vite à toutes mes questions. L’exposition, et toutes les Expositions s’approchent, et cela va te ramener parmi nous. On vient d’ouvrir celle de Guys qui n’est pas très bien comprise de l’actuel public. Ce sont des types de l’empire & nous en sommes déja trop loin. C’est très moderne, & cependant cela n’est pas plus moderne
que si l’on faisait une exposition de Debucourt. – Je parle de l’empire de Napoléon III. Chose étrange : Tout le monde en parle encore, mais les yeux qui ne l’ont pas vu, le trouvent aussi éloigné que l’époque des Pharaons.
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Ah ! j’oubliais ! – J’ai tout à fait oublié les épreuves que je t’avais promises, c'est à dire quelles épreuves ? C’est Nys qui me les réclame pour toi, mais quelles épreuves ??? Je te prie de ne jamais te gêner avec moi, et de me demander simplement celles que tu n’as pas. Je tiens, – très, – a ce que tu aies une collection modèle et la plus complète possible. Je vais même te faire tirer les « pédagogiques » qui me restent encore, je parle des dernières. Les autres depuis longtemps sont retournées sous le marteau du planeur. Si tu désires quelqu’autre planche dis-le moi sans vergogne, je te prie tu me feras plaisir. Nys m’a dit aussi qu’il devait t’envoyer du papier Pelée – . Je ne vois pas avec satisfaction que tu te mettes à dessiner là dessus, et je vais t’en dire les raisons qui me semblent sérieuses pour toi ; c’est que, comme j’ai employé ce papier effroyablement, – au temps où il était bon, et où il m’épargnait surtout du temps (et pour moi à cette époque, le temps c’était de l’argent ! et même la vie !) et qu’il y a de moi, un millier de dessins faits sur ce papier, dont les Cent Croquis , si connus et qui repassent incessamment dans les ventes et les expositions de la Salle Drouot, tu seras encore accusé forcément et quoique tu fasses, de me pasticher, ce qui est une chose déplorable pour toi, et qui, pour toi, que j’aime comme un frère, m’agace & me semble injuste. Mais tu n’y feras rien si tu ne surveilles pas tes moyens d’exécution, tes aspects de dessins et cela sévèrement ; ces dires grotesques ne feront que se répandre de plus en plus. Si on a tant crié au pastiche à propos de l’exibition de la grosse Flamande en couleur de l’Exposition de la Plume c’est que par un malheureux hasard tu tombais dans « l’aspect » de dix dessins des Cent croquis où les Flamandes foisonnent : dans la Sacristie, Amour de maturité, – le garde champêtre, dans les champs etc etc. Et, note que, à cette époque, je jetais dans le public les dessins, dans le public de tout genre, par centaines, et qu’il n’y a guère d’album parisien où l’on n’en trouvât, et toujours sur Pelée ! À cette époque Madame Pelée le fabriquait encore à Nantes, c’était un papier avec un joli grain et une bonne teinte ; elle m’en avait fabriqué pour moi, j’en ai encore quelques feuilles, – ce papier surtout épargnait du temps. Quand Malard lui a racheté la fabrication, il a tout gâté. Ce papier servait surtout aux jeunes pensionnaires qui copiaient les études avec effet de teintes & de blanc couché, – clairs de lune, – une teinte même s’appelait : « Teinte-lune » je l’ai employée pour un dessin des Cent Croquis intitulé « chauves-souris » c’était enfantin, malgré mes efforts pour éviter : « le dessin pensionnaire ». Les dessinateurs Hubert et Ferogio l’employaient beaucoup pour leurs petites élèves qui voulaient avoir des effets de blanc. Les nombreuses façons de papiers dits couchés l’ont tué ce papier, et la fabrication Malard qui fait du papier sans grain, à mauvaises teintes, et dont le Kaolin, (dont il use comme blanc de dessous,) se détache par plaques par les grandes chaleurs, l’ont fait à peu près abandonner. Cependant il garde l’aspect du Vieux Pelée. C’est son danger pour toi si tu t’y adonnes. Si je te racontes tout cela, c’est que je crois qu’il est temps pour toi, d’éviter tout ce qui peut me rappeler. Et j’y aide en « engueulant » les gens qui disent que tu m’imites, et en leur prouvant le contraire, mais il faut que toi aussi tu t’y aides ! Le papier Pelée dont je t’ai dit les défauts & les qualités anciennement n’est pas nécessaire, loin de là, & me rappelle tellement, presque toutes
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mes œuvres « d’âge moyen, ayant été dessinées sur le Pelée, que c’est presque dangereux pour toi. Je dis dangereux parce que comme ce que tu fais est très bien fait, tu dois déja c’est mon avis exciter une certaine jalousie parmi les jeunes et cette jalousie se manifestera par des « Rassenfosse ? oui cela n’est pas mal, mais c’est un faux-Rops. »
– Et il me semble que l’on ne doit plus entendre cette scie que encore une fois, tu ne mérites pas du tout. Seulement le public étant bête à perpétuité ne juge que par l’apparence. Or si thecniquement, un dessin lui en rappelle un autre soit comme couleur ou comme procédé il ne voit que cela & les différences morales ne comptent pas. Je te dis tout cela Mon Cher Amiparce que je le pense, & que je voudrais voir disparaître de ta vie artistique, la fable et la tradition bête « du pastiche de Rops » qui me fiche en belle colère. Donc fais attention, c’est toi que cela regarde surtout ! et je n’ai pas besoin d’ajouter que, dans tout ce que je t’en dis, un intérêt fraternel me guide comme tu dois le sentir, intéret dont tu ne peux douter je l’espère.
Bonnes amitiés à ta femme, j’embrasse les jeunes Rassenfosse. Dis moi comment se porte ta mère ? Tu ne m’as donné que trop peu de nouvelles d’elle.
Félicien Rops
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Appendice que j’oubliais, comme mon parapluie, :
Mon Cher Ami j’ai reçu deux petites planches fort aimables et s’éloignant très franchement du Rops dont nous parlions ci-contre. La plus petite des deux n’est-elle pas faite à la plume, elle a une netteté d’exécution, (je parle de celle à cheval sur un livre, une petite Folie) qui me charme & qui est assez rare ? dis moi ce qui en est.
Et votre exposition ? Geffroy ira-t-il à Liége. J’ai bien l’envie de vous envoyer une figure d’Hygia, gravée sur ivoire, & que j’ai retrouvée en deménageant. il y a quelques jours.
J’écrirai demain à mon aimable docteur.
Quant à ton article je crois qu’il sera peut être plus malin de le faire signer par Rodrigues, je pourrais dire de cette façon bien des choses que je pourrais pas dire en signant.
Cela me fera grand plaisir à faire.
Certes Deschamps est un aimable gas, mais un peu tireur de couverture pour son journal qu’il ne perd jamais de vue ; s’il se présente avec une quittance à ton endroit, envoie le sans gêne, se promener plus loin.
À bientôt le plaisir de recevoir une lettre de toi.
Ton vieux
Fély
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Je te prie dis-moi, la façon (détaillée) dont tu fais les papiers à grains, n’oublie pas je te prie.
Détails
Support
2 feuillets, 6 pages, Vergé, Gris-vert?.
Dimensions
178 - 176 x 225 - 112 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR