Lettre de Félicien Rops à [Théodore Hannon]

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Tu vois l’aquafortiste le plus accablé des Royaumes de France & de Navarre & de la République Une & Indivisible. Depuis le 2 Décembre de Bonapartique mémoire, je suis la victime de ce que « mon docteur » appelle un « rhumatisme Céphalique », le docteur de Gouzien une « névralgie Cervicale », le docteur de Liesse une « méningite Intermittente, le docteur de d’Hervilly une « Inflammation du Cervelet »!!!!! Le vrai c’est que je suis embeté comme un Grévy quelconque

Aucun travail n’est possible ! Rien ! Si je ne t’ai pas tiré d’épreuve de la première morsure du Cuivre mon vieux Théo, c’est facile à comprendre : Je fais, – lorsque ma première morsure est trop faible, – (et c’est pour te montrer la chose que je t’écris sur ce papier à vignette,) revenir la planche au rouleau. Le « rouleau » est « un rouleau » :

revêtu de cuir, que l’on passe, chargé de vernis, sur la planche que l’on doit faire remordre ; et, lorsque cette opération est faite très adroitement, la taille première reste ouverte. on n’a donc qu’à remettre de l’eau forte sur la planche et l’on obtient le même résultat que si l’on rouvrait à la pointe toutes les tailles, – travail très minutieux & fatiguant pour les yeux lorsque la taille est légère. Seulement ! Seulement !! pour bien manier le rouleau il faut n’avoir pas de nerfs, être un batracien quelconque, élève de Calamatta, Henriquel Dupont ou autre animal à sang froid. Les nerveux de notre

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sous genre n’y arrivent jamais !! – Quand j’ai besoin de ce roulage accéléré, je me rends chez un de ces microcéphales et je lui fais rouler ma planche pour une dizaine de francs. Cela ne rate jamais ! – Donc pour reprendre mon devis – j’ai fait rouler ta planche & je n’ai pas encore pu la faire remordre depuis ce fichu mois. Elle est là bronzée sous son vernis – attendant les petits travaux que je dois y mettre, et j’ai tant peur de l’abîmer que je n’ose y toucher. – Cependant je vais mieux & dans quelques jours, je m’y colle.

Mon Cher Théo je vais « laver tes études, & avant que je ne les fasse rentoiler, si tu en as trois ou quatre autres qui fassent plus « tableau » envoie les moi. C’est réellement très difficile de « placer ». Je les placerais j’en suis certain si les motifs étaient plus tableaux. Tu connais la bêtise du marchand, et encore plus de l’amateur. Elle est ici encore plus accentuée qu’ailleurs pour une raison très simple : Paris a deux mille artistes peintres et deux mille autres aspirants artistes peintres plus, mille décorateurs de mérite. Sur ces cinq mille bimanes, il y en a deux mille qui peuvent allégrement enlever une étude une tête, une nature morte, mille peuvent faire des dessins d’illustration très présentables, et les deux mille autres peuvent faire des petits tableaux de vente. Les prix de ces productions commencent à dix francs & vont jusqu’à deux cents. Plus c’est l’homme « arrivé » car note que dans ces cinq mille binames je n’ai pas compter le millier de peintres casés. Ce millier qui commence à Meissonnier & finit à Lintelo peintre Belge et Bruxellois, célébre par la complainte qui a

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fait le bonheur des ateliers de 1869 :

C’est le clair de lune de Lintelo

Lo-Lo

De Lintelo-lo lo

De Lintelo !

– C’est le clair de lune de Lintelo

Tombé dans l’Eau !

Lo Lo !!

Donc, Mon Vieux, n’oublie pas qu’il faut de bons yeux de peintre, & de bon peintre pour juger la différence qu’il y a entre une étude banale & une étude de fin coloriste. celle qui existe entre les 20,000 études dont sont encombrés les officines des Débitants de peinture, & celles des artistes de race, comme les tiennes. – La preuve, c’est que je te les ai demandées comme « canon » pour ôter le noir des yeux d’une brave fille qui en avait gagné le virus chez Ribot, – grand artiste, mais par trop « Charbognia ». – Seulement, pour l’usage que nous voulons en faire maintenant elles sont, ces excellentes études, peu pratiques, – c’est pour cela que si tu en as de plus petites faisant plus tableau, Nous pouvons en tirer un meilleur parti – Maintenant, il faut pour ce, que tu me dises encore & tout de suite, deux choses. Me permets-tu de les vendre de 30 à 50 frs pièce ? C’est peu mais tout dépend des circonstances ? – Puis, s’il y a lieu de les égayer m’autorises-tu à y ajouter un petit bonhomme dans un coin pour en rendre la vente plus facile ?

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Mes petites amies MMlles Duluc ont dû céder à leurs clientes, s’agrandir & s’installer 76. Rue Richelieu Prends cette adresse, c’est là que tu m’écriras. J’y suis installé depuis deux jours. C’est un pays où l’on paie quatre mille francs de loyer le quatrième étage que nous habitons, mais il faut bien se trouver au centre de Paris lorsqu’on habille les Théatreuses ! Moi je garde toujours mon habitation de la rue Labie jusqu’à nouvel ordre, je n’ai ici qu’une chambre. Cela me parait drôle en sortant de ce calme du quartier de l’Europe de me sentir si près des battements du cœur de Paris. Il me semble que je reviens de province ! –

Je ne te conseille plus le voyage de Menton c’est tard, remets cela à l’an prochain si tu en as encore besoin, tu as passé le plus fort, le soleil va revenir & en fevrier on a déja partout des jours passables.