Numéro d'édition: 2168
Lettre de Félicien Rops à [Armand Gouzien]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23

Destinataire
Armand Gouzien
1839/02/04 - 1892/08/14
Lieu de rédaction
s.l.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6958/20
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
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Mon Cher Armand
La lettre que Léon vient de m'écrire & que je t'envoie, a trop blessé l'amitié de frère que je lui portais pour que je puisse y répondre. Je crains de me laisser emporter à des paroles de colère & de mépris qui ne doivent jamais être prononcées entre ceux qui se sont aimés, ne fut ce que par respect pour le sentiment qui les ont unis si longtemps. Puisque ce malheureux en est arrivé à croire à la parole des escrocs & des filles & sur cette parole a douter de ma loyauté & de mon affection, je ne lui dois plus rien – pas même l'honneur d'une réponse. C'est pour moi & pour toi cher frère, le seul qui me reste, que j'ai fait hier « les démarches nécessaires » afin de jeter un peu de lumière dans ce dédale d'ignominies ; – où l'on trouve des choses si bouffonnes qu'elles me feraient pouffer de rire pendant vingt ans, si je n'avais pas aussi envie d’en pleurer un peu & si l'un de nous n'était pas en train d'y laisser tout ce qui pouvait exister d'honnête & de solide en lui depuis sa cervelle jusqu'aux clous de ses bottes.
J'ai donc dû, moi-même, pour liquider toute
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cette fangeuse affaire, envoyer à MrKint de Rodebeke, deux témoins & le démenti ci-joint ainsi conçu :
« Si Monsieur Kint’ de Rodebeke a dit à Madame Mélanie « dite Stani » que MrFélicien Rops avait montré à Madame Joséphine « dite Hallaux » une lettre de Monsieur Léon Dommartin ou qu’il se soit occupé en quoi que ce soit de la personnalité de Madame Mélanie dite Stani dans ses conversations avec Madame Joséphine Hallaux ; – Mr Félicien Rops se trouve forcé de donner à Mr Kint de Rodebekele démenti le plus formel en regrettant toutefois que deux hommes d'honneur se trouvent mêlés à des bavardages aussi vils & à des démêlés d'un ordre aussi bas. »
Bruxelles etc &&.
Que veux-tu ? c'est idiot à faire & idiot d'aller patauger dans ces mondes interlopes mais je veux retirer mon amitié à Léon & en même temps te prouver – pour toi & pour moi qu'elle n'a jamais failli, – pas pour lui : cela ne lui regarde pas. – Garde cette lettre que je t'écris, je le veux, Léon la lui montrerait à Madame Mélanie « dite Stani » cette lettre, & elle serait trop heureuse de nous voir séparés pour toujours & de voir réussir l'échafaudage de mensonges qu'elle & son compagnon de chaîne MrStani ont entassés autour de notre pauvre ami jusqu'à lui boucher les yeux. – Qui sait ? elle l'enverrait peut être à ma femme
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pour lui monter dans quel monde j'ai vécu, & pour se venger des tentatives que nous avons faites pour qu'elle ne vous enlève pas un frère.
Garde donc cette lettre que je t'adresse & tu me la rendras afin que si jamais j'avais la faiblesse de pardonner à Léon une seconde fois, elle me rappelle ce que j'aurais dû faire il y a un an. – Je ne te l'ai pas dit-, il y a un an, & je n'ai jamais parlé à personne, de ce premier crime de lèse-amitié, pas même à toi. – Aujourd'hui je liquide : Il y a un an Léon après être resté six mois vivant de ma vie, comme cela devait être entre nous, n'avait rien trouvé de mieux que de se laisser aller à raconter à me femme ma vie galante, – en en exagérant les détails d'ailleurs, – & en en détaillant les mauvais côtés . – J'ai su – cela n'était pas malin – tout absolument tout mot pour mot ce qu’il a dit à ma femme. – Il a brouillé pour toujours mon ménage & a fait le plus grand mal à la santé de ma femme qui ne s’en est pas encore relevée. –
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croire (!) que c’est par simple jalousie que je romps notre amitié. – C’est éternel cela. Quand on en arrive – à être – en même temps que cet homme honorable qui s’appelle Mr Stani, l’amant d’une femme, – on prend un billet de train qui peut vous emporter le plus loin de ces ébats & l’on file seul, – Si l’on file à deux, on ne file pas à trois – ou alors on arrive aussi à prendre les drôlesses pour des anges, les voleurs pour des honnêtes gens & vos amis de dix ans, qui ont partagé vos joies & vos douleurs pour des canailles.
Et c’est éternel cela ! Il y a un mois que j’ai dit à Artan, – « Je n’en voudrai jamais à Léon de ce qu’il fera mais il fera des choses que je vois d’avance avec une lucidité de médium : Elle le brouillera d’abord avec moi, puis avec toi – puis avec Armand. – Cela est nécessaire & doit être. Comment ? Je ne sais, mais cela sera. – Elle roulerait – & elle a roulé d’autres bonshommes que Léon – (je parle simplement de la valeur de la résistance morale de Léon à certaines influences féminines & naturellement je ne parle pas de sa valeur propre qui est grande.) Mélanie est un composé de bien & de mal très dangereux pour lui – on a beau fourrer du quinquina dans l’acide nitrique cela n’en est pas moins un joli poison.
Je n’ai plus du reste à juger ni à m’occuper de ces choses – & je ne m’en suis un peu occupé, que parce que je croyais rendre service à un frère & après tout que c’était mon devoir de le faire. – Tu aurais été, toi Cher Vieux l’amant de Mélanie, que j’en aurais ri, – lui c’est autre chose.
Et il doit être le pauvre garçon absolument fou
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pour faire des cachotteries d’autruche derrière sa motte de terre à propos de ce secret de Polichinelle ! C’est fantastique & colossal ! Il a raconté à Hallaux-Hallaux qui était disait-il l’ennemi de l’ange, son ennemi à lui, – l’ennemi de cet honnête Stani, à Paris : il a raconté à Hallaux – qui ne s’en cachait guère parbleu ! – tous les détails de ses amours avec Mélanie & le bonheur qu’il éprouvait d’avoir fait cocu Stani ! (!!!!)
Hallaux me l’a raconté et m’a ri au nez lorsque je lui ai dit que « je ne savais rien ».
Plus colossal : et ici c’est du Palais Royal pur & jamais Marc Michel n’a trouvé celle-ci : Cette lettre « que le nommé Rops promène dans les bureaux de la Chronique & que Mr Kint « affirme » que j’ai montrée à Joséphine où il est dit qu’il a loué lui Dommartin un appartement pour l’habiter avec elle. –
Cette lettre lui Dommartin ne l’a jamais écrite !!!!
Et il me reproche de la montrer ! Il en est arrivé à être le jouet de Stani. C’est un beau degré.
Car tu ne connais pas Stani, toi Cher Vieux – mais lui le connaît, et on ne décrit pas cela.
Ah ! Nom de Dieu en voilà assez !! de l’air ! de l’air ! et laissons la vidange aux vidangeurs, – laissons passer
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la justice de Mr Dommage.
Nom de Dieu que je suis triste au fond – Je souhaite qu’elle l’aime beaucoup & qu’il soit heureux elle lui doit bien cela elle vient de lui faire perdre une rude amitié.
Je t’embrasse de toutes mes forces – elles sont doublées, tu es seul maintenant.
va
Ton vieux frère pas gai
Fély
N.B Il est absolument inutile que tu essayes de nous « réconcilier » – nous ne sommes pas « brouillés » c’est fini. Tu seras je te prie l’exécuteur testamentaire de mon amitié pour Léon.
Je te prie de lui redemander mes lettres, non pas que jamais il me vienne à la pensée que jamais il puisse en faire un mauvais usage. Il peut les relire du reste & il n’y trouvera que l’expression de la plus sincère amitié qui ait jamais existé. Mais il va rester avec elle, – peut être avec Stani – puisque cela dure ; et ces gens ont des préjugés sur la morale.
– Je prie Léon, au nom de l’amitié qu’il m’a porté en des temps meilleurs de demander à Madame Mélanie les lettres de camarade joyeux & fantasque que je lui ai adressées.
– Léon doit faire cela – pour ma femme surtout qui était pour lui une bonne amie avant qu’il n’ait éprouvé le besoin de la rendre plus heureuse qu’elle n’était en l’éclairant sur mes défauts.
– Il doit faire cela et c’est très sérieux cette question entr’autres choses sérieuses.
Garde ces lettres, Mon Cher Armand. S’il veut les siennes je les lui rendrai, quoiqu’il est probable que les siennes ne seront jamais en danger
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d’être volées ou exploitées. – Enfin je lui demande aussi de ne pas donner le spectacle trop réjouissant d’amis brouillés qui se déchirent à belles dents ce qui prouverait que nous ne sommes estimables ni l’un ni l’autre & même que nous ne l’avons jamais été. Comme je te l’ai dit en commençant nous devons du respect au sentiment qui nous ont unis
À toi & Bien à toi
Fély
Détails
Support
3 feuillets, 7 pages, Vergé, Crème.
Dimensions
208 - 208 - 208 x 268 - 134 - 134 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR