Numéro d'édition: 0381
Lettre de Félicien Rops à [Alice Renaux Renaud]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Alice Renaux Renaud
Lieu de rédaction
Sedan
Date
1872/10/06
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
Amis/RAM/84
Collationnage
Publication
Date de fin
1872/10/06
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops, Les Amis du Musée Félicien Rops
Page 1 Recto : 1
À Sedan. Chambre n° 16 ce jourd’hui dimanche, le 6 du mois octobre mil huit cent septante-deux.
Cette chambre est nue et d’un aspect sévère : Le papier vert bouteille à bouquet indigo, sur un socle en bois, tout en or et sous verre ! L’empereur à cheval revient de Marengo…
Et il y a du feu ! enfin je vais pouvoir écrire à Mignonne Alice. Que fait-elle maintenant ? Il me semble que je l’entends d’ici chanter notre chanson de Fortunio ou la valse des Roses. Vrai, j’entends votre voix d’argent, ma chère Alice, malgré les trompettes et les clairons bavarois qui sont en train de me sonner sous mes fenêtres je ne sais quelle bizarre et mélancolique fanfare d’outre-Rhin ; et je viens justement d’écrire au frère Carlier que je me laisserais traîner sur mon torse pendant vingt lieues, comme le grand saint Pantaléon si je pouvais vous entendre dire : « Fély » là, tout de suite.
Ah ! quel drôle de voyage je fais ! je quitte, bien triste, mes petites sœurs lundi soir ; chez moi je trouve en rentrant un télégramme d’Octave Pirmez, qui m’apprend que son frère vient de mourir subitement à Liège. Je pars pour Liège. Octave était parti avec le corps de son frère, le propriétaire croit qu’il s’est tué dans un accès de spleen, et quel spleenétique c’était que celui-là. Il était, du reste, possédé de la curiosité d’outre-tombe et il voulait voir si les anges blonds que l’on trouve dans les tableaux italiens étaient ressemblants et à quel sexe ils appartenaient. Je m’arrête à Namur, le temps de vous expédier deux volumes, afin que l’on ne m’oublie pas trop. J’arrive à Mézières, j’erre dans les ruines comme un poète lyrique en mal de tragédie, et me voici tombé à Sedan et je m’arrête le temps de vous écrire quelques lignes, de dormir trois heures en rêvant à celle « que j’ose aimer et que je ne saurais pour un empire vous nommer ». Mignonne Alice, pour repartir (à quatre heures du matin !) pour arriver à cet introuvable Metz qui disparaît toujours dans le troisième dessous dès que je lui tends les bras :
Ajoutez que la Providence, qui m’aime, m’a fait servir par un garçon d’hôtel, qui parle comme Vanden Bogaert. Il dit : « Zedan et les Bavazois » ; c’est proprement un charme ! Je lui ai demandé si le prince Frédéric Charles, de Prusse, était un charmant garçon ; il m’a répondu modestement qu’il lui avait servi « un biztek », mais qu’il ne le connaissait pas. Ne serait-ce pas Vanden Bogaert déguisé en homme comme il faut ? Quel drôle de voyage ! il n’y manque que le mal de mer, des araignées et du cresson. Ah si ! il y manque mes trois petites sœurs, mais elles manquent terriblement !
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Et je viens de trouver une araignée : deux araignées ! araignées du soir, grand espoir !
Puisque j’ai déjà les araignées, tâchons de trouver le reste ! Je cherche le cresson dans mon aiguière et les trois sœurs où je peux. Rien ! J’ai une idée : j’invoque le diable et je lui vends mon âme. Enfin les voilà : Miss a des yeux qui sentent le fagot, Mary a mis sa robe verte du souper de Carlier, et Alice (tenez-vous droite Mlle Alice) a mis ses cheveux sur le dos comme à Blankenberghe. C’est adorable tout cela et « vraiment le diable est un bon enfant », comme dit M. Grisar en ses
Il ne reste plus qu’une araignée dans le piano.
Araignée du soir, grand espoir !
Vae soli
! Malheur à ceux qui sont seuls, dit l’Évangile. Allons voilà encore la trompe des Bavarois, il est lugubre cet air-là ! cela ressemble au ronflement de mon oncle lorsqu’il a grondé son neveu. Petites sœurs, bonsoir. Je vais dormir et je vous embrasse de toute ma bonne amitié. Je dors… Fély… tout seul… cresson… dunes… mauvais soldat… valse… kursaal… Paù vrami ? Paùvrami ! Napoléon en or ! Flessigue… araignée… Lisseweghe… drôle de voyage… ! comme vous… Maréchal Bazaine… Tente d’Artan… cabine… Fortunio… mauvais soldat… croquet… Lintermans.
Mais oui ? Lintermans ! à propos, cela me réveille, cela ! Et Lintermans ! Avez-vous été chez Lintermans ? et qu’a-t-il dit ce porte-bijoux ? Dites-moi cela, ma chère Alice, poste restante à Metz, non ; écrivez-moi plutôt à cette adresse connue : M. Félicien Rops, chez M. Armand Gouzien, 22, rue Rossini, Paris. J’y serai à la fin de la semaine, jeudi peut-être. Je ne fais que passer là-bas, mais je suis si près d’Armand que je ne peux m’empêcher d’aller ennuyer ce cher frère pendant quelques heures, il se moquera de moi en m’appelant M. Raaps et simple idiot, et cela sera charmant.
À bientôt j’espère, mes chères sœurs, pensez un peu à Fély, présentez mes compliments je vous prie à M. e MmeRenaux et mes amitiés à Léon.
Bien votre
FÉLY.
Je vous écrirai après demain de Metz ou demain peut être, si j’arrive !
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musée Félicien Rops (Province de Namur)