Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]

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Je dois t’écrire depuis la nouvelle année ; Nous avons reçu tes vers, – très amusants, & très lestement enlevés, – & nous les avons lus à nous deux Gouzien, au coin du feu du 9 du la Passage Ste marie ! Tu as attendu longtemps tes deux cents francs, j’en ai été très embêté ; – je vais enfin pouvoir te les rendre. Je te les expédierai de Monaco dans quelques jours.

– L’Hiver a été dur à passer, mais enfin je m’en suis tiré c’est le principal. J’ai fait le travail du duc de Baños, – la première partie : les quatre premières feuilles, – j’ai jusqu’au 15 juillet pour les quatre autres. C’est assez embêtant à faire mais je crois que j’ai réussi la chose : Il y avait à orner d’emblèmes « d’amour & de guerre » les marges de ses titres de noblesse. Je m’en suis tenu à une espèce d’imitation des vieux parchemins, – fonds d’or, d’argent, de bronze teintes claires, feuillages bizarres &c &c tu vois cela d’ici. Il a été enchanté & je crois que je ferai un éventail dans ce genre pour l’ex-reine Marforiana. J’ai fait entretemps un « Affuteur » sur cuivre pour l’Album Cadart : l’Eau forte en 1876. Trois gravures pour le : F. J Millet souvenirs de Barbizon par Alexandre Piedagnel. Un titre, une Fileuse d’après Millet & une jeune fille assise sur

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une barrière. – Alexandre Piedagnel est un mauvais auteur francoys, mais enfin, le volume sera bien imprimé & – bien mis en lumière.

L’important c’est le contrat que je viens de signer avec Alphonse Lemerre : Il me donne mille frs par mois à partir du mois de février pour quatre eaux fortes composées & gravées sur cuivre depuis le mois de fevrier jusqu en octobre prochain & 1200 après octobre, pour « continuer » – Il s’agit de faire 80 planches pour deux éditions de Musset, quarante planches pour une petite édition (format Lemerre) & quarante pour une grande édition in-quarto.

Je te réserve des épreuves de ce que je grave.

Si je n’y crève pas, c’est très beau d’arriver d’emblée à être parmi les trois aquafortistes les plus payés de Paris mais c’est terrible ! Ajoute que les planches de la petite édition sont ridiculement petites :

Et je commence par la petite ! Si je n’y devient pas aveugle j’aurai de la chance.

Je pars pour Monaco avec tout mon bazar d’eau-forte & de peinture. –

Le 1er mai je serai à Paris.

Demain ou après demain je dois t’écrire pour que tu demandes pour moi un service à Victor – une question de réclame.

Et toi que fais-tu vieux pitre ? écris-moi. Je serai vers le 25 avril à Bruxelles, très peu

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de temps car hélas ! Je n’ai plus de temps à moi. Si tu le veux, nous reviendrons ensemble à Paris, tu as un lit chez moi naturellement.

Les petites amies te font de grandes amitiés. Léon se plaint d’être restée deux ans sans te voir. Deux ans ! c’est vrai, il y aura deux ans que nous avons fait au mois de mai 1874 la vallée de Chevreuse ! Nous referons quelquechose dans ce genre là. Je te propose une pointe de trois jours en Sologne, cela n’est pas loin & il paraît que cela est très beau. – Les pauvres chères filles travaillent toujours, elles sont toujours aussi bonnes douces & dévouées, & fidèles à leurs amitiés. –

Gouzien est déja à Monaco depuis huit jours, je n’ai pu partir avec lui. Je suis très heureux de pouvoir aller là quelque temps, travailler en toute tranquillité d’esprit. Depuis un an j’en ai passé de dures ! – Par ma faute, souvent ; c’est une rude école du reste & qui n’est pas mauvaise, il est peut-être nécessaire d’avoir passé par là qui sait ? Il me semble que je me sens plus complet, ou du moins plus fort.

Comme santé, à part une légère reprise de goutte de quatre jours – dans le coude ! – je vais bien, le moral est meilleur & je vais prendre mon courage par le cou & lui faire empoigner Musset. Il faut que je tombe Bida d’abord. Tout cela est très difficile : il y a la question de costumes – Bida avait pris un costume général, un espèce d’habit noir qui n’était d’aucune époque, de même pour les machines Venitiennes & autres. Je crois qu’il faut faire le contraire, pour les choses caractérisées comme Mimi Pinson, par exemple. J’ai envie de faire le caprice en costume « d’aujourdhui » on le joue ainsi à la Comédie Francaise .

Que dis-tu de tout cela ? Dis moi ton avis. Ainsi je ferai de vrais venitiens &c et tâcher

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d’avoir là dedans une fantaisie du diable. – Difficile ! Et il n’y a pas à dire, il faut faire bien. C’est pour ainsi dire un nouveau début que je fais là. Et quatre planches par mois ! Je n’en dors plus ! – Et note que je ne peux pas abandonner la peinture, il faudra que je peigne trois jours par semaine, & graver pendant les quatre autres !

Peu de nouvelles de ma femme & de Paul. L’enfant m’écrit trop peu, & c’est là un des grands griefs que j’ai contre ma femme, elle devrait le rappeler à ses devoirs & ce silence me fait peine.

Je t’écrirai après demain. Écris moi voici l’adresse :

Hotel de Paris

Monte-Carlo

Principauté de Monaco.

On ne va pas cette année à la Villa Bella. Je le regrette, c’était merveilleux, mais on y a mangé trop d’argent & le père Blanc y a mis bon ordre.

Maintenant que me voilà dans la maison Lemerre, j’espère que nous y ferons des « Histoires du Pays Wallon » avec dessins. –

– Voilà à peu près tout ce qui s’est passé ici