Lettre de Félicien Rops à [Henri Liesse]

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Je t’écris au galop, j’ai été pris d’une envie folle de voir, Marlotte la Gorge aux Loups et la mare aux fées par la neige, & me voilà. –

Je garde mon opinion à propos de l’affaire et puisqu’il n’y a encore rien de fait, tâche que cela se fasse comme je te le conseille. Je vais dîner demain, Mardi, chez l’oncle Durrand, nous arrangerons nos comptes le mieux possible, & nous causerons un peu littérature !! – À propos de littérature c’est le 8 janvier que l’Assommoir de Zola passe à l’Ambigu. C’est Gil Naza qui fait Coupeau, Helène Petit : Gervaise, et l’excellent Charly, l’agent de police. Bonne distribution.

– Naza a été Coupeau de quinze à 25 ans – il se rappellera. – Tu vois que « tu n’es plus dans la note » à Bruxelles ! – Bonne note pour toi de n’y être plus !! – À part nos vieux amis, tout cela est inerte, endormi et qui pris est improductif, non pas comme quantité, mais comme qualité. Et les meilleurs n’y voient plus. N’ai-je pas surpris notre brave ami Dom prenant pour un homme de talent « remarquable » un sinistre sot dans le genre de .

Rappelle-toi la lettre que je vous écrivais a toi & à Dom, il y a deux ans & ce que tu m’as répondu. – Je t’écrivais cela parce que toujours,

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j’ai dit qu’il y avait en toi un tempérament, – depuis le sonnet de Manneken-Pis ! – et surtout depuis Thozée, dans nos longues promenades le long de la Biesme, nous avons bien causé de toutes choses ; & à partir de ces heures là, j’ai toujours pretendu que, s’il y avait bien de l’alliage dans ton métal littéraire, coulé un peu à la diable, – comme ces canons de la République où avaient été fondus les cloches du Couvent, la batterie de cuisine du chateau, les mouchettes de cuivre du bailli, les burettes de Mr le curé et les boutons de culotte des gardes-bois, mais qui n’en portaient pas moins bien un boulet aux Autrichiens & aux Blancs, à Fleurus ou à Quiberon, – il sonnerait aussi ton heure de succès, si le hasard & la chance le frappaient juste, à la bonne place avant que la bêtise, l’envie, la paresse ou la débauche ne l’aient faussé. Et ce que je disais en ce temps là paraissait si bizarre & si peu vraisemblable que le « ce Rops. toujours paradoxal » terminait souvent les discussions à ton endroit.

– Oui Mon Ami Paris est bon, – bon aux lèvres comme aux fièvres, dit Vacquerie. Il ne faut pas y vivre toujours, loin de là. Il faut vivre partout, mais être installé ici, & s’inspirer de toute cette vie « à outrance » qui est la caractéristique de notre temps.

Et nous allons nous « éreinter » ! Nous travaillerons « à mort » !! Notre association ne peut qu’être bonne pour nous deux. Tu vois quel travailleur enragé, je me suis fait. Je l’ai toujours été travailleur, mais d’une façon peu probante & invisible aux myopes. C’est entendu : deux chambres pour toi, une pour moi & un atelier. Liberté absolue d’allures, de travail, de manies surtout ! mutuellement. Respect à nos défauts. Souriante indulgence pour nos vertus. Nous travaillerons chacun de notre coté car le travail a besoin de solitude. Il faut pouvoir s’isoler. – Notre idéal sera dans un an de trouver à Asnière une jolie maison

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à l’île de la grande Jatte ou sur la côte du Chateau de Becon. Des fleurs dans le Jardin, – je m’en charge ! – et notre canot au garage, car il faut soigner les muscles ! il faut que les reins restent solides pour que la tête soit productive. – Nous ferons de belles choses tous les deux, mon vieux, et quand Edmond viendra nous voir, notre petit domestique, ou notre vieille gouvernante, mettra le couvert dans le fond du jardin sous les clématites & les bignones grimpantes, d’où l’on voit la Seine se perdre la bàs derrière les peupliers de St Ouen ; – nous boirons à nos vieilles santés le bourgogne qui aura « deux ans de cave !! – et à Jean Riant le vieux Gaulois ! – Et cela ne m’étonnerait vraiment pas si l’Éternelle Jeunesse était représentée au milieu de cela, par un de ces nez retroussés, article Paris, auquel nous défendrions à de faire son œil en cul lisse, & de laisser tomber dans son verre cette fameuse larme romantico-spermatique qu’il mêle au dessert à ses boissons variées. Et Fontaine, officier de l’ordre Léopold et peintre d’histoire nous quittera pour aller serrer la main à Cabanel, officier de la Légion d’honneur & peintre d’histoire ! – Et Lemerre attendra dans l’antichambre sa copie et ses dessins.

Nous le ferons entrer.

Une chose nous attristera : Edmond tout à fait pochard nous racontera qu’il est l’amant de et que l’enfant est de lui et que cela a toujours « continué !!!!!! »

Mais nous n’en croirons pas un mot !

Quant aux meubles, pour en revenir au vrai d’aujourd’hui, Je te vendrai ce que tu voudras, mais il faut que nous arrangions cela ici. Il me faut d’abord de l’argent pour les faire venir ! Ah !! Et j’en gagne, ou plutôt je travaille à en gagner.

Ci-jointe une lettre pour Picard, mets-la à la poste ou porte la toi-même en lui envoyant ton livre. C’est un homme sérieux, aimable et éclairé, s’intéressant à toutes choses intéressantes.

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– Un autre mot pour Le Bailly d’Inghuem – un mammifère pour le prochain roman, à voir. J’oubliais : dis à Edmond que je lui expédie par l’agence Lemy-Glineur un paquet d’une demi douzaine & plus ! de croquis pour MmeBailleux, conifère à verdure persistante ; & qu’en échange de ce cadeau tout à fait princier je le prie de surveiller l’envoi de mes bottines.

– Cela t’intrigue cet envoi de bottines ? Voici : mon bottier Pauwels Chaussée d’Ixelles, (un peu plus loin que la rue des Mineurs, lorsque l’on tourne le coin de le rue des Mineurs dans la Chaussée d’Ixelles et en se dirigeant vers le boulevard,) a dû déposer une paire de bottines « riches » 15 petite rue Francart à mon adresse. Il s’agirait de me les faire parvenir Mon Vieux Liesse, et pour ce, prie MrWatlet de les envelopper d’un beau morceau de papier, d’une belle corde, de coller dessus une belle enveloppe sur laquelle tu écriras de ta belle écriture l’adresse suivante :

À MrFélicien RopsFrance

artiste peintre

17 rue Mosnier

PARIS

Une paire de bottines

Grande vitesse

et de faire porter par son apprenti la susdite paire de bottines chez MrLemy-Glineur 24. Rue des Paroissiens. commissionnaires-expéditeurs qui me feront parvenir le paquet.

– En même temps que les croquis Bailleux – qui te feront l’effet d’une épave de magasin de bric à brac . Edmond recevra une épreuve – rare – de l’eau forte faite sur les quatre vers d’Hannon. Uniquement pour la revendre plus tard aux Collectionneurs qui iront rechercher ces machines là chez mes amis. Chez moi, cela fond

Dis-lui qu’il la garde bien plus tard elle vaudra quelques sols & nous la boirons !!

Dis à Fontaine que je n’ai nullement oublié