Numéro d'édition: 1702
Lettre de Félicien Rops à [Armand Rassenfosse]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Armand Rassenfosse
Lieu de rédaction
Paris
Date
1889/12/24
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6957/19/31
Collationnage
Autographe
Date de fin
1889/12/24
Cachet d'envoi
1889/12/24
Cachet réception
1889/12/25
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Paris 24 Déc. 1889
Voilà bien une quinzaine de jours que je suis dans l’impossibilité de vous répondre Mon Cher Monsieur Rasenfosse, et je ne sais vraiment ce que vous et MrMorreels, devez penser de mon exactitude & de ma correction. Je n’ai eu le temps de rien faire ! J’ai d’abord été accompagner jusqu’à bord de La Bourgognema fille et ma femme, qui avec leur intrépedité habituelle, sont allées fonder une succursale de leur maison, labàs, à New-York. Ce n’est pas sans émotion que j’ai vu le grand transatlantique disparaître dans une tourmente de neige. Je suis resté dix jours sans nouvelles, tandis que je devais en avoir au bout de huit jours. J’ai passé quarante huit heures peu agréables. Enfin j’ai reçu une dépêche par le câble, et j’ai retrouvé le calme. Mais « L’Influenza » m’attendait ! & comme tous les Parisiens j’ai payé, de trois longs jours de lit, mon tribut à l’épidémie à la mode. Ne croyez pas à la grippe, cela n’y ressemble en rien. on souffre pas mal ! La tête est envahie de douleurs lancinantes fort pénibles, et les mêmes douleurs sont répercutées, moins violemment, dans toutes les articulations. Avec cela une fièvre de nègre ! Il y en a qui y ajoutent des coliques cholériformes. Je m’en suis abstenu. Heureusement cela dure peu. Au bout de quatre à cinq jours, on en a vu la farce, & on rit des autres.
Vous comprenez que à travers ces péripéties, j’ai eu à peine quelques heures pour essayer les vernis, sur un vieux cuivre, au galop. Je l’ai couvert de croquis à la diable, essayant une nouvelle aqua-tinte, & les vernis, à la fois. – Je viens de tirer une épreuve de la planche, un premier état. (je vous enverrai le 2e, naturellement et vous pourrez mieux juger de la chose.) Mon
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opinion est, jusqu’à nouvel ordre, celle-ci : Le vernis n°1 – Ropsenfosse, a de belles qualités & donne un joli grain surtout. Très diaphane, il ressemble beaucoup à mon premier vernis, celui avec lequel j’ai fais les Sataniques, & le plus grand nombre de mes planches. – Il a les mêmes qualités, et aussi les mêmes défauts, dont le principal est de remordre à la reprise ; même si l’on n’ajoute pas de travaux, les premiers travaux remordent quand meme ! sous l’acide. Les nos 2 & 3, nouveaux vernis, me paraissent identiques. Ils sont évidemment plus solides que le premier, mais moins diaphanes. Je continue à croire, que le grain en est moins beau. Il donnent un grain plus lourd, moins « lithographique » si je peux m’exprimer ainsi. Regardez dans l’épreuve que je vous envoie, le joli grain que donne le vernis no 1 dans la dame nue, en chapeau, couchée sur le dos ; et comparez la avec le grain de la femme qui tient une tête de mort. Il est vrai que je crois que j’avais mis ce vernis no 2, trop épais. Enfin cet essai là ne prouve pas grand chose, et c’est à recommencer. Il faudra qu’avec le vernis no 3, je pousse une planche assez compliquée, jusqu’au bout, & par des morsures successives. En faisant remordre avec de l’acide nitrique à 20 degrés au moins, pour savoir à quoi nous en tenir. – Avec quoi faites vous mordre vos zincs ?
Des petits essais comme ceux que je vous fais parvenir prouvent d’ailleurs peu de chose : il faut pour être certain de la valeur d’un produit, l’essayer d’une façon plus sérieuse, & sur des planches assez grandes.
Je vous envoie le frontispice du livre : Chez les Passants de Villiers. C’est fort mauvais, et
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même l’un des plus mauvais frontispices de mon œuvre. Ce malheureux cuivre a éprouvé tous les accidents possibles, et pour comble, Nys, pressé, l’a fort mal tiré. Mais enfin, puisque vous en désirez une épreuve, je vous l’expédie. Remarquez que la tête qui se trouve dans la main du fantôme est presqu’illisible. C’est encore un accident de la dernière heure. En coupant les marges, l’ouvrier avait enlevé d’un coup de burin le nez et un des verres des lunettes du Bonhomet ! C’etait complet !!
Je joints à l’envoi quelques épreuves curieuses, au point de vue : vernis mou & gravure. L’une de ces épreuves, le frontispice d’Akadysséril, a été fait, (avec le fameux vernis dont je vous ai parlé & que je n’ai jamais pu retrouver,) sur une photogravure très légère. Ce vernis, que j’appelle encore le vernis de l’avocat, parce qu’il m’a servi à faire le croquis de l’avocat qui se trouve dans la planche dite de l’avocat, était d’une finesse extravagante, et cependant ne piquait pas ! – Comme vous pouvez avoir oublié cette planche de l’avocat, je vous prête mon épreuve, que vous me renverrez à l’occasion, parce que je n’en ai qu’une. J’ai indiqué par des astériques les croquis faits avec ce vernis. – Je vous en parle parce que je crois utile d’avoir deux vernis, un très fin et un à grain.
Jamais, jamais ! Je n’ai pu retrouver cet étrange vernis, et ce que je me suis « décarcassé » pour cela ! – Je mettais ce vernis au pinceau, puis je le chauffais pour le mieux épandre. Il y entrait un tas de choses : du vernis copal de Durozier, (copal à l’essence), de la liqueur à mater de Durozier, de la Cire à l’essence de Durozier, de la Gomme Elémi à l’essence de Durozier, de la Cire à l’essence de Durozier, du vernis blanc en boule dissout dans l’essence, etc etc Tous les produits artistiques de Durozier y
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étaient entrés ! et avec des proportions de chic, sans mesurage aucun des quantités employées ! C’était broyé sur verre, à la molette, délayé avec l’essence rectifiée de Durozier, et comme je vous l’ai dit appliqué avec un large pinceau & légèrement. J’ai passé des semaines à tâcher de retrouver ce vernis qui pouvait lutter de finesse avec les plus menues photogravures, et je n’ai obtenu, avec les mêmes produits, que de très mauvais vernis !! Ah ! n’oubliez pas le mesurage des quantités ! – toujours !! – sans cela, c’est du travail perdu ! Enfin, peut être un jour obtiendrons nous des résultats semblables, par hasard, – quand nous aurons un bon vernis mou blanc ordinaire ; et je crois que vous êtes sur le point d’arriver à l’excellence. Et il faut toujours viser à l’excellence !! Soyons difficiles pour nous-mêmes. – Donc après le vernis mou blanc !
Votre encre au nitrate m’intéresse fort ! Je crois ce procédé plein d’avenir. Je n’ai pas tout à fait cherché la chose, mais j’ai frôlé le même but, & guidé par la même idée, et une idée éternelle, la vraie, celle de dessiner directement sur cuivre. Je dessinais à l’encre lithographique sur cuivre, et je faisais dorer à la pile. Puis j’enlevais les traits de l’encre & je faisais mordre. Le résultat n’était pas meilleur que celui que j’obtenais à la pointe d’ivoire. Braquemond a gravé je crois par ce procédé, une grande diablesse de planche-frontispice pour la première collection des aqua-fortistes de Cadart ; mais elle était achevée à la pointe. Puis ce procédé coûte fort cher & ne donne que des résultats médiocres. Mais il faut perfectionner votre idée ! – Si vous avez quelques gouttes de votre encre, envoyez moi la chose dans une petite bouteille, je voudrais faire un petit essai de cela. Je suis très intéressé, et
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je crois qu’il y a là la Genèse d’un résultat sérieux & une « machine » tout à fait nouvelle ! Dans le manuel du Graveur, que vous avez, (collection Roret) il y a au chapitre : Procédés relatifs à la Gravure, beaucoup de bonnes choses, que l’on pourrait moderniser ce me semble. Car persuadez vous bien que tout est à faire pour trouver l’ensemble de procédés nouveaux, qui associé à la photogravure doit donner la gravure moderne des Peintres. Nous avons déja donné un bon coup de botte à la Routine : Continuons courageusement !
J’accepte avec grand plaisir votre offre trop aimable de bien vouloir me faire faire une boîte à aqua-tinte, à une condition : Vous me direz votre prix « de revient » et pour le reste nous ferons un échange. Je sortais pour aller la commander chez un fabricant d’objets photographiques, lorsque j’ai trouvé votre lettre chez le concierge, & j’ai suspendu ma commande. Je suis persuadé que la boîte sera meilleure si vous voulez bien vous charger de son exécution, & je vous remercie de votre proposition.
Je vais essayer les vernis mous et votre encre nitratée, sur acier. Je rêve l’acier. Plus d’aciérage ! ce serait charmant.
Je vous enverrai mes résultats le plus vite possible.
Si vous voyez Mr Morreels dites lui je vous prie que je lui écrirai dans quelques jours. Les petites planches qui ornent ses lettres sont bien curieuses !
Je vous serre la main affectueusement. tachez de déchiffrer tout cela. Je n’ai pas le temps de relire tout ce long devis !
Félicien Rops
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P.S. Dans ces petites lettrines de Mr Morreels, il y a un bout de paysage avec des arbres qui ne sent en rien le procédé, on jurerait d’une eau-forte ! C’est très remarquable. C’est executé à ce qu’il parait sur papier glace. Toutes ses petites lettrines sont d’ailleurs fort intéressantes.
– Voici les dimensions que je désirerais pour la boite à aqua-Tinte :
Exactement celles que vous jugerez convenables, seulement, je voudrais pouvoir y placer des planches de 60 cent. de longueur avec hauteur proportionnée.
Le reste vous regarde.
Voulez vous me donner les proportions pour faire votre encre nitratée ? Car je suis persuadé que sur acier ou sur aluminium, si sensibles aux morsures, cela donnera des résultats très curieux & autres que le cuivre.
Les grains d’aqua-teinte liquide de ma planche d’essai sont obtenus par le fixatif Rouget épandu sur les parties où je voulais un grain. Cela donne des grains, très agréables à poser & cela résiste bien à l’acide.
À Bientôt
F.R
Et bonne année, & bon courage pour l’an 1890 ! J’espère qu’à la fin de la susdite année, nous aurons trouvé ce dont je vous parlais, avec l’aide du subtil Morreels c'est à dire « : l’ensemble de procédés nouveaux qui nous permettront avec la photogravure comme adjuvant modeste, de créer, la Gravure Modernedes Peintres ! Ainsi soit-t-il !
Détails
Support
2 feuillets, 6 pages, Lisse, Beige.
Dimensions
178 - 178 x 227 - 113 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR