Numéro d'édition: 1787
Lettre de Félicien Rops à [Armand Rassenfosse]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Armand Rassenfosse
Lieu de rédaction
Paris
Date
1893/04/05
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6957/19/116
Collationnage
Autographe
Date de fin
1893/04/05
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Illustration
Lettre illustrée
Page 1 Recto : 1
Paris le 5 avril 1893
Nous n’avons pas encore trouvé « ce qu’il nous faudrait » en fait d’appartement, Mon Cher ami ! – C’est incroyable, mais c’est ainsi. De guerre las, – nous en avions assez de grimper des hauteurs ! nous nous sommes arrêtés à la rue du Marché des Blancs Manteaux, au Marais ! Mais pour un an ! un an seulement ! – Nous avons obtenu cela du propriétaire, pour voir si nous nous y plairions en ce grandiose, mais un peu trop populeux : Marais ! C’est l’appartement à la serre, qui plaisait tant à ma femme.
– La vie est bizarre : si l’on m’avait dit que j’habiterais jamais le Marais, j’eusse gagé le contraire ! Enfin « les desseins de la Providence sont impénétrables » comme dit la Sainte Église ! Je reconnais que le Boulevard était dangereux pour moi ! Je m’y dépensais trop. Peut être au Marais, ne me dépenserai-je pas assez ! – J’aurais dû prendre pour armes : une salamandre avec la devise : Ma vie par le feu ! Vita per ignem !! – Mais ce n’est qu’un essai d’un an ! Au bout d’un an, le propriétaire : la Société : l’Aigle, me fera tous les changements que je voudrai, si nous nous plaisons là, ce dont je doute, car j’exècre les « popularités » & le coin où nous allons est en plein grouillement. L’appartement est vaste et éclairé, voilà ses seules qualités, puis, il n’est pas trop éloigné du centre.
Je fais faire un atelier à la Demi-Lune. Pour deux mille cinq cents francs, j’en verrai la farce. C’est à peu près le prix d’un an de location d’atelier à Paris, et en cas de
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d’absolu besoin, j’aurai là : un local. Cela aura sept mètres sur six, & c’est situé audessus de la nouvelle écurie, près de la maison du jardinier.
Croquis
C’est une baraque dans ce genre ci : – dans le genre toituré des communs du dix-huitième siècle
Rien de remarquable d’ailleurs et cela ne tirera de charme comme la maison jardinière, que des rosiers qui y grimperont sur l’ensemble. Mais Piccolo et ma vache bretonne y seront bien, et moi aussi je l’espère. Cela sera éclairé des quatre côtés, ce chapeau, comme votre atelier de Liège.
– J’ai bon espoir que, avec quelques démarches un propriétaire, voisin d’Octave Uzanne qui fait bâtir une maison à côté de la sienne, m’arrangera un atelier & un appartement dans cette nouvelle maison. Ce serait l’idéal vraiment, car le quai Voltaire est un des plus endroits de Paris, et c’est très central. Je l’ai habité pendant un an. C’est là que j’ai fait ma première eau-forte ! à l’hôtel Voltaire ! qu’habitaient Baudelaire Sylvestre et Wagner et Barbey d’aurevilly ! Donc voilà encore une transformation de ma vie qui s’accomplit ! Il va falloir tâcher de faire bien !
– Parlons de vous maintenant Mon Cher Rassenfosse : Uzanne pour l’heure a passé le cap Lizard et vogue en plein Atlantique. Il m’a montré vos dessins dont il n’est qu’à moitié satisfait, non pas que les dessins lui paraissent mauvais et ils ne le sont pas, ce que je lui ai affirmé, mais parce qu’ils ne sont pas absolument reproductibles, d’une façon absolue. Et en cela il a assez raison. Il faut que ces dessins soient faits absolument à la plume, avec une netteté, qui ne pourrait être trop grande. Ainsi les traces des décalques rouges qui restent sur vos dessins « barbouillent » le trait et viendraient « brouillées » à la reproduction. La plupart de ces croquis est bien, ils sont jolis ces croquis, mais pas assez : plume pure ! Faites en d’autres. Vous reprendrez ceux-là que vous vendrez très facilement à un Pincebourde quelqonque ; & dessinez à la plume « pure ». Et nettoyez soigneusement les traces de décalque & de crayon. Faites clair & net. Le plus net possible. Notez qu’Uzanne ne se connaît que fort peu en art. Il a de la pratique, & une certaine habitude, mais voilà tout. Reçu vos papiers à grains. Je vous en remercie beaucoup. Dites moi je vous prie, en grand détail, comment vous faites cela, afin de vous éviter de m’en fabriquer. Pourquoi ces papiers envoyés ne sont-ils pas plats, il y a des gondolements fort désagréables, car lorsqu’ils sont fixés sur le cuivre ils ne reposent pas sur le vernis, et cela fatigue considérablement ce vernis, car lorsque le crayon touche le papier le gondolement s’abaisse, & frotte le vernis. Ces papiers me seraient très utiles pour le voyage avec quelques ustensiles de première nécessité, je pourrais graver à la campagne sans emporter mes boîtes à grain, ou sans en faire faire d’autres. Merci aussi des roulettes, mais il faut me faire ma « petite note ! » J’y tiens. Je suis retourné de nouveau, ou plutôt j’ai visité un autre atelier de photograveurs : chez Rougeron. J’ai vu que les retoucheurs se servaient beaucoup d’une roulette qui donne des effets de Coups de crayon :
Croquis
dans ce genre ci :
Croquis
une petite roue
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de la largeur d’un coup de crayon. Je vous la redessine en plus grand :
Croquis
notez que presque toujours dans leurs roulettes il y a une inclinaison dans la roue de l’outil : J’en ai vu une aussi avec les bords obtus
Croquis
Croquis
Cela donne un travail très bon et où l’on ne sent pas la roulette du tout ! Je ne peux vous envoyer encore les Sataniques, je suis en plein déménagement ! C’est une fatalité ! Mais elles sont sous mon œil les Diaboliques & elles partiront.
– Vous viendrez aux Expositions n’est ce pas ? Ne fut-ce que trois jours, venez sans faute. Elles vont être fort curieuses. Il paraît que les Champs-Élysées ont recruté des jeunes peintres. La lutte sera forte, & intéressante.
Péladan sévit pour l’instant. Peu de chose en somme : Knopff n’imite plus les Français il s’est fondu dans les bottes de l’Anglais Burns Jones, jusqu’au cou. Cela fait rire ici. Quel drôle de tempérament !
– Puis Delville a un tas de tableaux qui singent le génie. C’est mal peint & laid. Il y a deux artistes intéressants qui s’appellent Cornellier & Bourdelle. Ce dernier surtout. On attend la « Babylone », la pièce Péladanesque. Donc à bientôt ! Et répondez moi vite s.v.p. Adressez vos lettres rue de Grammont 19, encore pendant huit jours, puis après, je vous donnerai la nouvelle adresse. Je voudrais faire mon papier, dites moi vite si j’aurai le tour de main. Mais je le voudrais plat comme une feuille de papier ordinaire, – plat comme une rivière ! & sans plis d’aucune sorte. Celui reçu est peu plat & gondolé assez.
À vous bien Mon Cher Ami & à bientôt n’est ce pas ?
Félicien Rops
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Crème.
Dimensions
176 x 224 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR