Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]

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Je ne reçois pas de lettre ni de nouvelles de toi. que deviens-tu ? Que fais-tu ? Gouzien est parti hier pour la Belgique & pour Lembecq. – Quand tu le verras fais lui lire cette lettre, il pourrait peut être voir ma femme & il faut qu’il soit renseigné sur ce qu’il doit lui dire de ma part. D’abord je ne t’ai pas écrit parceque j’étais atrocement agacé & ennuyé, le travail trop menu des planches de Musset m’a irrité les yeux, & j’ai frisé une ophtalmie très sérieuse. Lemerre a compris que ce travail à la loupe était impossible & il a consenti à changer mes contrats. Je ne vais plus graver de petites planches, je les donnerai à graver. Cela va me faire moins de rémunération de mon travail, mais il faut bien que je passe par là. Venons en à la question de mon ménage. Si je n’ai pas depuis un an, bientôt deux essayé de me rapprocher avec plus d’insistance de ma femme, c’est que je ne voulais pas que l’on attribuât à mes démarches un but autre que celui qu’on devait lui attribuer : on aurait pu croire que j’étais poussé par le désir de vivre dans des conditions meilleures & je préférais tout à cela. Et cependant Mon Vieux je peux te l’avouer maintenant j’ai eu des jours bien durs. Je crois avoir porté ma pauvreté absolue dignement & avec assez discrétion, & il m’a fallu une certaine énergie, crois le bien pour ne pas faillir en chemin.

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En d’autres circonstances tu comprends que je n’eusse pas hésité à aller demander l’hospitalité pour quelques mois à Armand, mais lui-même, était en pleine gêne, Théophile se trouvait dans une triste position, le beau père à la côte ou à peu près, avec cela une femme & un enfant, il faisait dans ce moment là tout ce qu’il pouvait pour joindre les bouts, je ne pouvais pas lui tomber ainsi sur le dos ! D’un autre côté j’étais forcé de refuser tout travail qui n’était pas rétribué comparativement à la « haute opinion » qu’avaient de moi les éditeurs. Il fallait donc crever de faim, attendre pour ne pas compromettre tout avenir de vie matérielle ; avoir l’air. d’être, pour l’honneur & pour la digité de ma femme & de mon fils, dans une riche aisance, être gai & tâcher d’aller jusqu’au bout s’il devait exister un bout, c’est à dire un résultat. – Heureusement « le résultat » est venu. J’ai « un état lucratif » « je gagne ma vie, & dans un avenir peu éloigné, je pourrai même indemniser ma femme des pertes que j’ai pu lui faire subir par de maladroites spéculations.

– D’un autre côté la situation actuelle ne peut continuer. Je suis privé de l’affection de mon fils, je n’ai pas de foyer ma position aux yeux du monde est tellement louche que, (cela m’est revenu de Bruxelles par plusieurs voies,) l’on dit que « ma femmeme paie pour habiter Paris, que j’ai fait avec elle une convention « pécuniaire » par laquelle je m’engageais à ne plus habiter ni à Thozée ni à Bruxelles moyennant pension. – Il faut que tout cela cesse, je demande donc à ma femme de prendre une décision soit à l’amiable,

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soit autrement ; – Je veux dans tous les cas rentrer chez moi pendant quelques temps. Si ma femme ne le faisait pas de bon gré, je le ferais autrement. Je compte donc en septembre rentrer chez moi simplement, la loi m’y autorise attendu que je suis toujours « le chef de la Communauté » & je le suis jusqu’à ce qu’une demande en divorce – si elle est faite – soit accordée par le tribunal.

Tu me ferais plaisir d’en écrire à ma femme d’ici à huit jours, tu ferais mieux en allant à Thozée porter à Paul son Michelet. Dans trois ou quatre jours j’écrirai à Charlotte moi même afin de lui faire part de mes intentions.

1° Autre chose : Tu recevras demain matin une clef c’est la clef de l’armoire, la grande armoire qui est dans l’atelier de Lambrichs. Je vais te donner des embêtements mais tu sais qu’entre nous cela ne se compte plus. Voilà ce que tu feras : Tu prendras une malle ou une caisse à toi, tu iras rue de l’Association, tu ouvriras l’armoire, tu prendras dans l’armoire tout ce qui se trouve la dedans de vêtements depuis la pantoufle bizarre jusqu’au paletot miteux & antidiluvien jusqu’à la vareuse bleue du Club d’Entre Sambre & Meuse, jusqu’au Gibus cassé, jusqu’aux débris de tes anciennes chemises de flanelle de la guerre de 1870. Tu mettras le tout dans ta malle puis, tu reporteras le tout chez toi, pour en user comme il sera dit plus bas.

2° Tu iras chez Brassine, tu lui diras que je suis à Berck sur le bord de la mer que je vais revenir dans deux mois à Bruxelles

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& que je m’arrangerai pour le payement de ce que je lui dois de la facon qui lui sera la plus agréable pour lui, du reste qu’il ne doit avoir naturellement aucune crainte de mon payement, seulement que j’ai dû pour mon travail me faire une installation à Paris & que cela m’a un peu retardé. Dis lui qu’il me fasse le plus vite possible les vêtements que je lui demande & qu’il les envoie chez toi par ce que tu as des objets de peinture à me faire parvenir. Remets lui la lettre & les échantillons ci-joints. –

Quand tu auras les vêtements tu les flanqueras dans la malle ou plutôt dans une caisse ad hoc que tu feras faire, & tu l’expédieras à Lembecq avant le départ de Gouzien pour Paris. Nous réglerons à Anseremme le prix de la caisse.

Le bon Hector, ton frère s’est comporté à mon endroit d’une façon assez bizarre. Je lui avais remis des billets d’Herman à escompter & il est parti pour Spa sans me donner de réponse & en me laissant en plan. Inutile de parler de cela à personne d’ailleurs, mais le procédé m’a paru « sec ». – Enfin peut être a-t-il une raison à faire valoir. Je le verrai « dans quelques jours.

Et Liesse ? il est parti ? Et Edmond ? Ce gros buffle ne m’écrit pas, je suis furieux. Et Anseremme ? et le bateau ? Et Bruxelles ? Et nos amis & amies ? Et tout ce monde Qu’est ce que cela fait & qu’est ce que cela devient ???

Écris le premier à Gouzien pour lui envoyer ton adresse car je crois qu’il ne l’a pas moi je t’adresse cela à tous hasards avec la simple désignation de « rue d’orléans ».

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Je vais quitter à la fin de l’année ce pauvre petit coin du passage Ste Marie, le boulevard St Germain abat les vieux arbres & vient brutalement percer en biais ce dernier recoin de la province à Paris. Voici le plan, topographe que tu es :

Comme tu le vois l’axe du boulevard prend en biais l’entrée du passage. C’est deux ans de platras & de Limousinailleries, la vie serait impossible, je file.

J’ai choisi le quartier du parc Monceaux en peu dégouté que je suis. J’ai tant cherché tant remué, tant trotté, tant embeté de propriétaires que j’ai trouvé : une maison !! c’est a dire un rez de chaussée avec entrée dans la rue directement sans intrusion de portier – le propriétaire fait bâtir la dessus un atelier & me loue cet immeuble qui sera un de nos rêves réalisés : – être chez soi comme en Belgique. C’est au bout de la rue de Constantinople que le rêve git pour

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le moment.

À toi Topographe !

Tu vois que c’est entre le parc monceau & la rue Mosnier.

On va commencer les travaux de l’atelier dans un mois cela sera prêt en novembre.

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Cela me coutera 1500 francs de location, j’en paie 1400, ici. Cela aura cet aspect ci :

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C’est là que le 24 Décembre prochain tu déposeras ton sac de voyage & que tu viendras crémailler l’immeuble avec Edmond, Gouzien, & quelques bons amis. Pourvu que Malassis en soit encore ! Il est encore assez mal depuis deux ou trois jours.

– Ci-joint Cher Vieux la lettre pour Brassine, il y a dans l’enveloppe des échantillons d’étoffe ne les égare. Je te fais dire à Brassine que je suis à Berck parce que je veux expliquer le retard que j’ai mis à lui répondre.

À toi tâche de me déchiffrer, j’écris comme Liesse & c’est presque de la sténographie télégraphique.