Numéro d'édition: 1921
Lettre de Félicien Rops à [Théodore Hannon]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23

Destinataire
Théodore Hannon
1851/10/01 - 1916/04/07
Lieu de rédaction
Paris, 17 Rue Mosnier
Date
1879/05/27
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
ML/00026/0039
Collationnage
Autographe
Date de fin
1879/05/27
Cachet d'envoi
1879/05/28
Cachet réception
1879/05/29
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Archives et Musée de la Littérature
Apostille
33-36 / Rimes de joies / Bruxelles & les artistes
Page 1 Recto : 1
17 Rue Mosnier.
27 mai 1879
Mon Cher Théo,
Mais ce n’est pas moi qui te retarde dans la publication & la mise en lumière de nos Rimes de Joie ! C’est ce diable de bon garçon traînard d’Evely ! Voilà six grandes semaines que je lui ai donné six petits croquis à graver, croquis dont j’ai absolument besoin de voir le résultat avant de faire ton frontispice & il n’y a pas moyen de les avoir. – Il me raconte des histoires de « bains détraqués » de « travail à recommencer » mais avec tout cela nous n’avançons pas ! Je suis prêt à faire tout ce que tu voudras, & à ton entière disposition. – Écris lui un mot pour le prier de se hâter. – Dis-moi si le format reste celui que nous avons choisi avec Huysmans. – Je suis revenu ici depuis deux jours & voilà trois mois que j’ai quitté Paris pour Vichy et pour Monaco, – Je n’y ai fait que des apparitions fugitives. Aujourdhui j’y rentre et je n’en partirai que fin juillet. Le Bailly a raconté aux Bruxellois que tu faisais le plus bel ornement de son château de Coaraze lez Pau, – « le château de Henri IV » ! – Et tu ne m’en dis rien ? – Comment tu deviens Sire de Coaraze & tes meilleurs amis ignorent ces grandeurs ? – Vas-tu bien me raconter cela !!! À propos, j’ai vu l’exposition du Cercle Artistique, bien faible ! – tes anémones sont très vibrantes, – seulement pas comprises du tout !! Ils ne sont pas habitués à ces ardeurs. J’ai passé trois semaines – pour affaires à Bruxelles. Quel ponton, mon vieux ! – Tout le monde y a l’oeil morne & la tête baissée des Coursiers d’Hippolyte. La ville, au milieu de ces bâtisses inachevées où
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errent quelques ombres & où gémit le vent du Nord ressemble à une ville bombardée à la glace. Quant à moi, Mon Cher Ami, si je pouvais revendre ma maison demain, je le ferais avec une bien grande volupté ! Il y a dans cette fausse capitale trois mille maisons à louer ou à vendre. Il ne s’agit pas de faire « des quartiers énormes », il faut les peupler ! & Bruxelles n’a pas d’habitants. Tous les Français qui lui avaient fait une fausse animation en 1871-1872 partent. Les artistes se sauvent. Herremans & Wauters tâchent de se débarrasser de leurs maisons et regrettent bien de les avoir fait bâtir ! Van der Stappen est déjà installé ici. Les peintres crèvent littéralement de faim, la bàs Mon Cher Théo, & à la longue on trouve cela peu nourrissant. – L’Exposition des Aquarellistes est jolie, mais jolie par l’apport des étrangers surtout, voilà le vrai.
Ici l’Exposition est simplement la plus belle que j’aie vu. Un Bastien-Lepage, la récolte des pommes de terre : merveilleux ! Deux Gervex superbes & neufs. Deux très beaux Duez. – Bon portrait de Carolus Duran, paysages de Daubigny fils & de Guillemet &c &c &c Tu verras cela, n’est ce pas ? –
Comment vas-tu ? & comment se porte MmeHannon ? Fais lui bien mes amitiés, – nos amitiés.
Ta persistance à ne point quitter la bonne ville de Pau ma paraît « loucharde » – Aurais-tu retrouvé la bàs quelque pubisienne agréable ?
Je suis ici avec Picard & le bon d’Aspremont-Lynden. – Je te dirai que la maison Picart est la seule maison où j’ai trouvé un bout de soleil au milieu de toute cette brume, de tout ce gris, de tout ce terne qui vous tombe ir-ré-mé-dia-ble-ment sur l’échine du matin au soir dans ce palais de la fée
Eμβεθη
Mot français « embete » écrit en alphabet grec
qui s’appelle Bruxelles.
Mme Picard est rieuse, gaie, nerveuse & femme, et bonne camarade. Elle m’a consolé
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de bien des déboires et elle chassait les morosités accumulées.
Pourquoi publier chez Callewaert ? Pourquoi pas Kistemackers ou Gay ? – Enfin tu dois avoir tes raisons.
J’ai trouvé tout notre monde de Bruxelles ranci, & vieilli. – Dommartin ronronne dans un coin, – De Coster est mort, – Dubois alourdi & découragé. Triste !! pas « de jeunes » remuants & tapageurs, pas de belles exagérations comme devraient en faire naître les folies de la vingtième année. Rien. Une raisonnabilité de cacochyme chez tous les « jeunes » !! C’était moi le plus « jeune » & j’en ai eu quelque honte. – Mes amis anciens eux-mêmes commencent à avoir pour ma féroce jeunesse qui ne veut pas se laisser enterrer, comme Lazare, le mépris de gens dont le sang charrie les globules de la maturité. Swift décrit quelque part la joie avec laquelle quelques amis se mettent en voyage, leurs rires, leurs causeries pétillantes du matin, puis le silence & la tristesse et la fatigue de cette même bande d’amis, quand arrive le soir ; un seul, continue la ballade commencée, & chante la gloire du crépuscule, comme il avait chanté le soleil d’or de midi, la pourpre de l’aurore et la douceur de l’aube. –
Je crois bien mon vieux Théo que je suis celui là.
Tant pis pour les autres !
À toi À vous
Fély
Détails
Support
1 feuillets, 3 pages, Vergé, Crème.
Dimensions
202 x 249 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
AML
Personnes citées

Félicien Rops

Théodore Hannon
Léon Dommartin
Léon Evely
Edmond Picard

Joris-Karl Huysmans
Louis Dubois
Arthur-Jean Le Bailly d'Inghuem
Adèle Picard-Olin
Charles De Coster
Emile Wauters
Guillaume-Bernard Aspremont-Lynden, comte d'
Henry Kistemaekers
Carolus-Duran, né Charles Auguste Emile Durant
Jean-Jules Gay
Félix Callewaert
Henri Gervex
Charles-François Daubigny
Charles Van der Stappen
Madame Hannon
Jules Bastien
Antoine Guillemet