Lettre de Félicien Rops à [Théodore Hannon]

Page 1 Recto : 1

N’oublie pas de m’envoyer quelques sonnets « très gaillards ». S’il n’y a pas de Sonnets cela m’est égal. – Je vais encore très ennuyer Mme Rousseau en la priant de mettre des noms sur les plantes que je t’envoie par la poste, mais on ne demande qu’aux riches. Jean Jacques Rousseau herborisait à Montmorency & à Ermenonville ! Son nom de famille & le nom de son mari obligent. – Je la prierai de vouloir bien accepter la dédicace de la planche du botaniste que je fais pour Cadart. – C’est une mince Compensation aux ennuis que je lui donne.

Tu ne peux t’imaginer, (oh si !!) mon ignorance & mon abrutissement dès qu’il s’agit de déterminer la plante la plus simple ! Perpétuellement occupé à trouver des « plantes bizarres » en Baudelairien que nous sommes, j’ai négligé « les simples » et cela ne peut durer !! Cela m’empêche de suivre les explorations botaniques des environs de Paris, j’ai l’air d’un filou qui flaire les bourses légères des botanistes, et qui se met de la « Compagnie » pour faire le mouchoir ; tellement ma crasse ignorance éclate en belle lumière à la première « Daucus Carotta » – au premier veux je dire ! – que l’on rencontre !

Donc je t’enverrai régulièrement des paquets

Page 1 Verso : 2

de plantes simples, – Mme Rousseau voudra bien me mettre le nom tout simplement, tu les flanqueras en tas, et lorsque j’irai à Bruxelles, je reprendrai le paquet. Je les enverrai aussi fraîches que je pourrai le faire.

Toi pour te punir je t’enverrai une épreuve de toutes mes eaux fortes. Polisson !

Et pour Commencer je fourre dans cette enveloppe une épreuve d’une eau forte faite il y a un an. – Premier état, non coloré. – Planche faite pour bien me persuader que les Arts « Meissoniériens » étaient abordables à tous les esprits de bonne volonté. – Sans vouloir « professer » j’ai horreur des cuistreries, – mon habitude de l’eau-forte pourra t’être utile. En comparant ce premier état & le 2e, que je t’enverrai tu pourras te rendre compte du travail et des ressources du métier. – Pas trop de métier ! c’est ce qui a perdu l’eau-forte des peintres, pour la faire tomber dans ce compromis canaille entre le burin et l’eau forte & la pointe sèche & la roulette, où l’on jetée MMrsLalauze & Flameng & les autres.

– Je n’ai pas d’épreuves du 2e État, mais je t’en ferai tirer ; bien entendu je ne t’envoie ces petites machines que comme Curiosité. – La valeur artistique y est négative.

N. B. ma lettre sur les marges de l’autre épreuve.

Page 2 Recto : 3

N’oublie pas : d’aller chez Camille de Roddaz. & de lui recommander Delâtre pour le tirage des Eaux fortes de son album. – Je me chargerais de la Surveillance. Il ne demande pas cher. & c’est une maison qu’il faut soutenir. – Lemonnier a fait dans l’Artiste un panégéryque de Lemerre qui est un chef d’œuvre de sottise, d’inexactitude & de « platitudité ». – Lemerre lui paira cela en quadratins. – Cela a beaucoup fait rire ici. Ce brave garçon passe à l’état de « Venteux » – Le Venteux en Beni-Mouffetard, est le Mr qui souffle les poulets à la Halle, pour leur donner des aspects de dindons. – Le vrai dans tout cela n’a qu’une ligne : Lemerre est un brave homme malin comme un Normand & artiste comme un potard qu’il aurait pu être. Il y a toujours eu derrière lui. MalassisCourbet, (pas le peintre !) et Anatole France qui ont été « l’esprit » de la maison ! – Non Lemonnier est « le roi des Venteux »! Je te jure que je lui ferai faire ma « biographie »! – Il dira que je suis fort comme Gavarni, et que je réunis en personne l’élégance de Brummel à la souplesse de Léotard – aimé des cocottes ! Et ce qu’il y aura de plus drôle c’est que je le croirai pendant 3 minutes !!

Tu as reçu ma lettre première ? – Faut-il continuer à adresser les lettres 18. R. Sans Souci ?

Donne des nouvelles du livre & de la maison Callewaert.

Bonnes amitiés chez toi – Voilà le soleil enfin ! Tu vas envoyer se promener ta pharyngite.