Numéro d'édition: 0190
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Léon Dommartin
Lieu de rédaction
s.l.
Date
1889/07/13
Commentaire de datation
La rédaction de cette lettre est postérieure à la nomination d'Armand Gouzien en tant que Chevalier de la Légion d'Honneur en date du 13 juillet 1889. Voir : http://www.smlh29n.fr/memorial/legionnaires/12539_gouzien_armand_charles
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
APC/27193/1
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops, Fédération Wallonie-Bruxelles, acquisition réalisée grâce au soutien du Fonds Léon Courtin – Marcel Bouché, géré par la Fondation Roi Baudouin.
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Vendredi
Mon Vieil,
Absolument de ton avis : les médailles Belges ont fait rire ! Artan, Verwée & Stevens méritaient les trois médailles d’honneur. – On en a donné une à Courtens ! – a ce compte Stobbaerts qui est un excellent peintre, la méritait encore mieux ! Il y a eu là des tours de main extraordinaires de la part de ce jury bizarre. – Mon Vieux, il y a dans le machin que tu dois faire un écueil à éviter : c’est d’engueuler le ministère catholique. C’est l’ancien ministère libéral des Graux des olins des Bara, – tous anciens amis d’Université, qui n’a jamais voulu me reconnaître pour un artiste sérieux ! – J’avais tout fait pour rester en Belgique, j’avais fondé la Société Internationale des aquafortiste avec un tas de « grands Seigneurs » comme membres protecteurs & la Comtesse de Flandre (!) comme présidente d’honneur, – celle là n’a rien protégé du tout ; pas plus que « le tas de Seigneurs ». – Jamais le ministère libéral, que j’avais soutenu pendant six ans par des caricatures politiques & qui je le répète, n’était composé que d’amis ne m’a donné un encouragement ni pécuniaire, ni honorifique, pendant que l’on couvrait de commandes & de croix les moindres rapins.
Quant au ministère catholique je dois dire que dans cette dernière affaire il s’est conduit très correctement à mon égard, & mieux que l’ex-ministère libéralesque. Ils ont « laissé faire », les rapports venus de Bruxelles portent tous : homme de grand talent. Ce n’est pas MrXavier olin qui en eut dit autant ! – On a même ajouté que la décoration-Rops ne serait « pas vue d’un mauvais œil », & sur ce le brave Beyens a pu sans déplaire à ses chefs se mettre en campagne & enlever les dernières hésitations de Spuller.
J’ai tenu à réussir une fois l’affaire entamée. Puis comme je te le disais, il me fallait pour les Sots & pour les Belges une consécration « officielle » afin que la réputation de fabricant de cartes transparentes tombât à plat, au moment où elle allait atteindre même les êtres qui me sont chers. La méchanceté & la niaiserie n’ont de respect que pour les niaiseries officielles, tu le sais aussi bien que moi. J’ai quitté la Belgique abreuvé de dégoûts, & j’y serais crevé de désespoir & de privations comme Charles De coster, le seul homme de talent qu’ils avaient, et qui m’écrivait un mois avant sa mort : j’ai l’autographe : « J’étouffe, je suis entouré de BANDITS qui n’ont pitié ni de moi ni du pauvre talent que je me sens, ni de mes idées, ni de moi, & qui me feront crever sur un grabat ; écris moi encore une de ces bonnes lettres, qui me soutiennent, me réconfortent, & me donnent pour quelques heures l’illusion qu’un jour, encore peut être, je pourrai encore devenir ce que j’avais rêvé d’être & écrire ce que j’aurais voulu écrire, sans déplaire aux Gens en Place,
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par lesquels il faut passer en Belgique pour pour vivre matériellement de sa plume. Il faut baiser le sabot de l’ ÂNE. Ah ! Si j’avais été Théodore Juste !! !! »
À part deux ou trois mots voilà le testament du pauvre Charles. C’était une âme élevée, un cœur noble, & un talent. Ils l’ont fait crever comme un chien, dans le dénuement absolu. Il faut en finir & dire un jour, leur fait aux tenanciers de l’argent des Beaux Arts & leur dire. Si vous ne vous connaissez pas en Art & en littérature que foutez vous là ! La Littérature, les Arts, c’est la vraie gloire d’un pays. On l’a dit & rabaché, mais cela reste vrai !
Je t’autorise à citer cet effroyable dernière page de Charles De Coster. C’est une bonne action que tu feras. Cela sauvera peut être un homme de lettres, un peintre ou un musicien aux abois.
Tu as l’occasion de le dire, dis-le.
C’est qu’ils sont là des myriades de cochons, & cachés embusqués, tirant sur tout ce qui n’est pas : dans le rang, des leurs, de leurs idées canailles & basses de leur étroite cérébralité.
– Artan est un grand peintre, un maître, on n’a pas à voir dans la vie privée des gens, & on s’appuie la dessus pour lui refuser des commandes, il a eu ici un vrai succès que les artistes lui ont fait.
– Voilà encore ce que j’avais oublié de te dire.
Je suis triste de voir s’approcher la fin de cette pauvre MmePopp. – C’est une bonne & intelligente femme. Que deviendra le Journal de Bruges après elle ?
– Paris & l’Exposition seront délicieux en Septembre. moi je ne bouge pas. Il ne se passe pas une semaine sans que quelqu’exposition nouvelle ne vienne se greffer sur la Grande Bleue. C’est inépuisable. Peut être irai-je Seulement quelques jours à la plage Belge. mais q.q jours seulement !
Uzanne est à Quiberville près Dieppe. Gouzien décoré fraichement part pour Brest. Edmond Carlier ? – Égaré.
À toi mon vieil & à bientôt
Fély
Pourras-tu lire ? J’écris avec des allumettes !
Détails
Support
1 feuillets, 2 pages, Lisse, Beige.
Dimensions
220 x 173 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
Photographie Vincent Everarts